La neutralité est un principe fondamental et une tradition de longue date pour la Suisse. Mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie a bousculé ce concept et relancé le débat dans le pays. Faut-il ancrer une définition plus stricte et contraignante de la neutralité dans la Constitution ? Le gouvernement suisse vient de trancher en rejetant cette idée.
Une pétition pour une neutralité plus stricte
L’organisation souverainiste Pro Suisse craint que la neutralité helvétique ne soit peu à peu vidée de sa substance. Elle a donc lancé une pétition demandant de mieux ancrer ce principe dans la loi fondamentale du pays. Portée par l’UDC, le parti de la droite radicale et première force politique suisse, cette initiative a recueilli suffisamment de signatures pour qu’un référendum soit organisé sur la question.
Les tenants d’une interprétation plus stricte de la neutralité veulent limiter la possibilité pour la Suisse de participer à des sanctions internationales, comme celles imposées à la Russie. Ils souhaitent aussi empêcher tout rapprochement avec l’OTAN et exclure toute alliance militaire, sauf en cas d’attaque directe du pays.
Le gouvernement veut garder de la flexibilité
Mais le Conseil fédéral, qui est le gouvernement suisse, ne l’entend pas de cette oreille. Il juge qu’« inscrire une conception rigide de la neutralité dans la Constitution fédérale n’est pas dans l’intérêt de la Suisse ». Cela limiterait en effet la marge de manœuvre du pays en matière de politique étrangère.
Cela signifierait que des sanctions ne pourraient plus être imposées à des États belligérants en dehors de l’ONU et que la coopération avec des alliances militaires ou de défense serait sévèrement limitée.
Le Conseil fédéral
Pour le gouvernement, l’application flexible de la neutralité a bien servi les intérêts de la Suisse jusqu’à présent. Verrouiller le concept de manière trop stricte dans la Constitution pourrait restreindre fortement :
- La coopération en matière de sécurité, affaiblissant les capacités de défense du pays
- La participation aux sanctions internationales, limitant la capacité de la Suisse à contribuer à un ordre mondial pacifique
Un équilibre entre neutralité et sanctions
Lors de l’invasion de l’Ukraine, la Suisse a été bousculée par ses partenaires européens qui ont pris fait et cause pour Kiev. Au nom du droit et de la neutralité, Berne a refusé de livrer des armes aux Ukrainiens ou d’autoriser la réexportation d’armement suisse.
En revanche, la Confédération a repris l’essentiel des sanctions économiques décrétées par l’Union Européenne contre Moscou. Ne pas le faire aurait créé une faille majeure dans le dispositif punitif international. Un équilibre que le gouvernement souhaite pouvoir continuer à mettre en œuvre au cas par cas.
Une tradition multiséculaire
La neutralité de la Suisse remonte au XVIe siècle et est reconnue internationalement depuis 1815. Ce statut qui a épargné au pays les guerres mondiales reste ancré dans l’identité nationale. Les citoyens sont soumis au service militaire obligatoire pour défendre cette neutralité armée.
Néanmoins, le principe n’a jamais été absolu. Les lois sur la neutralité ne s’appliquent pas aux guerres civiles ni aux opérations militaires autorisées par l’ONU. La Suisse doit donc en permanence adapter sa doctrine aux réalités géopolitiques, un défi rendu plus complexe par le conflit ukrainien.
Un débat loin d’être clos
Si le gouvernement recommande au Parlement de rejeter l’initiative pour une neutralité plus stricte, la question est loin d’être tranchée. Le peuple suisse aura probablement le dernier mot via un référendum sur cet enjeu qui touche à l’identité et au positionnement international du pays.
La guerre en Ukraine aura en tout cas eu le mérite de pousser la Suisse à réfléchir sur le sens et les limites de sa neutralité dans un monde de plus en plus interconnecté. Un débat fondamental pour l’avenir de ce petit pays au cœur de l’Europe.