La lutte contre le réchauffement climatique se heurte à un obstacle de taille : le flou entourant la comptabilisation des puits de carbone naturels dans les objectifs climatiques des pays. C’est l’alerte lancée par des scientifiques de renom, qui craignent que cette imprécision ne compromette sérieusement nos chances de limiter le réchauffement planétaire. Une clarification des règles s’impose de toute urgence.
Des puits de carbone au cœur de la controverse
Les puits de carbone naturels, tels que les océans, les forêts et les sols, jouent un rôle crucial dans la régulation du climat en absorbant environ la moitié du CO2 émis par les activités humaines. Mais leur prise en compte dans les engagements climatiques des États soulève des questions épineuses.
Selon Myles Allen, chercheur à l’Université d’Oxford et principal auteur d’une étude publiée dans Nature, certains pays comptent sur l’absorption naturelle de carbone par leurs écosystèmes pour compenser une partie de leurs émissions futures. Une approche problématique, car on ne peut pas demander aux puits de carbone de faire “deux boulots en un” :
Si on compte sur eux pour éponger nos émissions anciennes, on ne peut pas dans le même temps les utiliser pour compenser les émissions futures.
Myles Allen, Université d’Oxford
Un réchauffement sous-estimé
Cette ambiguïté dans la comptabilisation carbone pourrait avoir des conséquences dramatiques. Alors que le monde pense être sur la voie des 1,5°C, le réchauffement réel pourrait dépasser les 2°C et continuer à s’emballer. Un écart en apparence minime, mais aux impacts considérables sur le climat.
Glen Peters, directeur au Centre de recherche international sur le climat d’Oslo, pointe du doigt l’Union Européenne, qui a récemment commencé à revendiquer en partie le travail de ses forêts comme une compensation de ses émissions. La Russie, elle, affirme pouvoir atteindre la neutralité carbone tout en continuant à recourir aux énergies fossiles grâce à l’immensité de ses forêts.
Vers une neutralité carbone “géologique”
Face à ce constat alarmant, les chercheurs appellent à se recentrer sur la “neutralité carbone géologique”. Concrètement, cela signifie que pour chaque tonne de CO2 émise par les énergies fossiles, une tonne doit être retirée de l’atmosphère et stockée de façon permanente dans le sol.
Si des technologies de capture et de stockage du carbone existent, elles ne représentent aujourd’hui que 0,1% des émissions. Un chiffre qui devra grimper à 100% d’ici le milieu du siècle pour espérer atteindre la neutralité. Un défi titanesque, qui ne doit pas occulter l’urgence de réduire drastiquement notre dépendance aux énergies fossiles.
Si vous ne retirez pas les carburants fossiles du sol en premier lieu, alors vous êtes loin de résoudre le problème.
Glen Peters, Centre de recherche international sur le climat d’Oslo
Un record d’émissions en vue pour 2024
L’avertissement des scientifiques intervient alors que les pays doivent communiquer leurs nouveaux plans climatiques d’ici février 2025. Un calendrier serré, d’autant que les prévisions sont sombres : selon le Global Carbon Budget, l’humanité s’apprête à battre un nouveau record d’émissions de CO2 en 2024, qui s’annonce comme l’année la plus chaude jamais enregistrée.
Il y a urgence à agir. Clarifier les règles de comptabilisation carbone est un premier pas essentiel pour s’assurer que les efforts de chacun nous mènent réellement vers la neutralité. Mais n’oublions pas l’essentiel : pour préserver notre climat, c’est notre addiction aux énergies fossiles qu’il faut neutraliser au plus vite.