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Naufrage de Lamma IV : 13 Ans de Combat pour la Vérité

1er octobre 2012, fête nationale chinoise. Un ferry bondé file vers le feu d’artifice de Victoria Harbour. Soudain, un choc brutal. Deux minutes plus tard, 39 personnes dont 8 enfants ont disparu. Treize ans après, les survivants découvrent enfin ce qui s’est vraiment passé… mais la décision tant attendue vient d’être repoussée. Jusqu’à quand ?

Le 1er octobre 2012, la nuit était magnifique à Hong Kong. Des milliers de familles se pressaient sur les ferries pour admirer le traditionnel feu d’artifice de la fête nationale. Parmi elles, Philip Chiu, sa femme et leur fille de deux ans embarquaient sur le Lamma IV, direction Victoria Harbour. Personne n’imaginait que cette soirée festive allait devenir la pire catastrophe maritime qu’ait connue la ville depuis plus de quarante ans.

Treize ans après, la douleur reste intacte

Trente-neuf personnes ont perdu la vie cette nuit-là : trente et un adultes et huit enfants. Le ferry Lamma IV a coulé en moins de deux minutes après avoir été percuté à pleine vitesse par un autre navire. Un choc d’une violence inouïe qui a projeté les passagers les uns sur les autres, dans l’obscurité et la panique.

Philip Chiu, aujourd’hui âgé de 63 ans, se souvient encore de cet « objet lumineux » qui grandissait à l’horizon. Quand il a compris qu’il s’agissait d’un bateau, il était déjà trop tard. Projeté au sol, il a vu l’eau envahir le pont inférieur en quelques secondes. Sa femme et sa fille ont été sauvées. Sa sœur aînée, elle, a disparu corps et biens.

« J’ai été projeté à plat ventre sur le pont. Tout s’est passé si vite… »

Philip Chiu, survivant

Un enchaînement tragique d’erreurs humaines

Les enquêtes successives ont toutes abouti à la même conclusion : une cascade incroyable de négligences à tous les niveaux. Des marins qui n’ont pas vu venir l’autre navire. Des inspecteurs qui n’ont jamais vérifié la présence de gilets de sauvetage pour enfants. Une porte étanche manquante depuis la construction du bateau, que personne n’avait signalée.

Déjà en 2013, un premier rapport pointait « une série d’erreurs commises à presque toutes les étapes par de nombreuses personnes différentes ». Deux capitaines ont été condamnés à des peines de prison. Deux fonctionnaires du département de la Marine également, pour n’avoir jamais contrôlé l’équipement de sécurité enfant.

Mais pour les familles, ces condamnations individuelles ne suffisent pas. Elles veulent comprendre l’ensemble du système qui a permis une telle catastrophe.

Une enquête du coroner inédite après treize ans de lutte

C’est la première fois depuis le drame qu’une enquête judiciaire complète – une « inquest » à la mode anglo-saxonne – est menée. Lancée à l’initiative de Philip Chiu et d’Alice Leung, elle a permis d’entendre 84 témoins, dont beaucoup parlaient pour la première fois publiquement.

Alice Leung a perdu son frère de 23 ans cette nuit-là. Pendant treize ans, elle ignorait même les circonstances exactes de sa mort. Lors de l’audience, elle a enfin appris qu’il avait été retrouvé avec de graves lacérations à la tête. Elle s’est effondrée en larmes dans la salle.

« Cet incident est plus complexe qu’un puzzle de 10 000 pièces. Pendant dix ans, nous n’avons jamais eu la vue d’ensemble. »

Alice Leung

Ryan Tsui, photographe d’architecture de 49 ans, a lui perdu son frère et sa nièce de dix ans. Il décrit ces treize années comme une véritable « vendetta » qu’il ne pouvait abandonner. Le jour de l’enterrement, il a pris son frère dans ses bras pour la première fois… en portant l’urne contenant ses cendres.

Des témoignages accablants sur la chaîne des responsabilités

Dans la salle d’audience, les survivants ont écouté avec stupéfaction les responsables se renvoyer la balle. Le chantier naval qui jure n’avoir jamais été informé du problème de porte étanche. Les inspecteurs qui disent n’avoir jamais reçu l’ordre de vérifier. Les marins qui accusent la fatigue ou le manque de formation.

Ryan Tsui résume parfaitement l’état d’esprit des familles :

« Toutes les erreurs possibles ont été commises, et chacune des parties s’est montrée complaisante. »

Philip Chiu, lui, pointe directement la responsabilité de l’administration :

« Si le gouvernement ne change pas sa culture, il continuera à commettre ces erreurs. »

Des réformes annoncées… mais encore insuffisantes ?

Le département de la Marine assure avoir modifié les lois sur la sécurité maritime depuis 2012. Une équipe dédiée examine désormais « rigoureusement » la construction et les modifications des navires. Des progrès incontestables sur le papier.

Mais pour Alice Leung et les autres familles, les promesses n’ont pas été tenues. Le rapport complet sur les 17 fonctionnaires fautifs n’a jamais été publié. Les noms non plus. La culture de l’opacité semble toujours régner.

Alice Leung le dit sans détour :

« Trente-neuf personnes sont mortes et cela ne peut être effacé. Le véritable soulagement viendra quand nous verrons que Hong Kong devient plus solide. »

Un report d’audience qui ravive la frustration

La décision du coroner était attendue cette semaine. Elle a été repoussée à une date indéterminée. Nouveau coup dur pour les familles qui, après treize ans d’attente, espéraient enfin tourner la page.

Cette enquête n’a pas le pouvoir de punir. Elle peut seulement établir les causes des décès et formuler des recommandations. Mais pour les survivants et les proches, c’est déjà énorme : c’est la première fois qu’un regard indépendant et complet est porté sur l’ensemble des dysfonctionnements.

Ils ne cherchent pas la vengeance. Ils cherchent la vérité. Et surtout, ils veulent être certains qu’une telle tragédie ne se reproduira jamais.

Parce qu’à Hong Kong, des milliers de personnes prennent encore le ferry chaque jour. Parce que des enfants continuent d’embarquer pour aller voir les feux d’artifice. Parce que treize ans, c’est déjà beaucoup trop long pour attendre que justice soit enfin rendue.

Le combat des familles du Lamma IV n’est pas terminé. Il est même peut-être en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire de la sécurité maritime à Hong Kong.

En résumé : Treize ans après le naufrage du Lamma IV qui a coûté la vie à 39 personnes, les survivants et les familles obtiennent enfin une enquête complète. Malgré des réformes annoncées, la culture de l’opacité persiste et la décision du coroner vient d’être reportée. Leur combat pour la vérité et pour une sécurité renforcée continue.

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