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Naufrage dans la Manche : Trois Migrants Jugés pour Homicides

Novembre 2023 : un zodiac percé, surchargé de 60 personnes, chavire au large d’Équihen-Plage. Trois morts. Aujourd’hui, deux Irakiens et un Soudanais sont jugés pour homicide involontaire. L’un d’eux affirme n’avoir payé que 500 € en échange de piloter le bateau… Le verdict tombe ce soir. Ce qui s’est vraiment passé ?

Le 22 novembre 2023, à l’aube, une soixantaine de personnes montent dans un zodiac gonflable sur une plage du Pas-de-Calais. Destination rêvée : l’Angleterre, à quelques dizaines de kilomètres de mer glacée. Moins d’une heure plus tard, trois d’entre elles sont mortes. Vendredi, près de deux ans après les faits, le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer juge les trois hommes accusés d’avoir rendu possible ce drame.

Un procès sous haute tension dans le nord de la France

La salle d’audience est pleine. Les trois prévenus, menottés, entrent escortés. Deux Irakiens de 46 et 34 ans, et un Soudanais de 27 ans. Ils risquent jusqu’à dix ans de prison pour homicide involontaire, aide à l’entrée irrégulière en bande organisée et mise en danger de la vie d’autrui. Le président du tribunal ouvre l’audience. Le silence est lourd.

Que s’est-il passé ce matin-là ?

Les rescapés, entendus dès le lendemain, racontent la même scène. Dans la nuit, des fourgons déposent les migrants près d’Équihen-Plage. On leur distribue des gilets de sauvetage usés, parfois sans sangle. Le zodiac est déjà là, posé sur le sable. Très vite, ils comprennent qu’il est percé : l’air s’échappe doucement d’une chambre.

Personne ne recule. Chacun a déjà payé entre 1 000 et 2 000 euros. Le bateau est gonflé à la hâte avec une petite pompe électrique. Soixante personnes montent à bord, parfois plus. Les boudins s’enfoncent dangereusement dans l’eau. Le moteur tousse, puis démarre.

À peine sortis de la zone des vagues, le zodiac commence à se dégonfler rapidement. L’eau monte à l’intérieur. Panique. Certains sautent à la mer pour alléger l’embarcation. D’autres s’accrochent. Les secours français arrivent trop tard pour trois d’entre eux : un homme et une femme d’une trentaine d’années retrouvés le jour même, et un troisième corps découvert plus tard sur une plage voisine.

Les deux Irakiens : organisateurs ou simples passagers ?

Les enquêteurs accusent les deux Irakiens d’avoir été les passeurs de cette traversée. Téléphones analysés, messages WhatsApp, témoignages concordances horaires : tout semble les désigner comme ceux qui ont collecté l’argent et organisé le départ.

Devant le tribunal, ils nient farouchement. « Nous étions nous-mêmes des candidats à l’exil », répètent-ils. L’un explique avoir fui Mossoul, l’autre Bagdad. Ils affirment avoir payé comme les autres et être montés dans le bateau sans aucun rôle particulier. Leur défense insiste : aucun d’eux ne parlait français ni anglais couramment, comment auraient-ils pu organiser quoi que ce soit ?

Le Soudanais qui a tenu la barre

Le troisième prévenu, lui, reconnaît immédiatement les faits… à sa manière. À 27 ans, ce jeune Soudanais fuyant la guerre raconte une histoire différente.

« Les autres ont payé 1 500 euros. Moi je n’avais pas assez. Alors les passeurs m’ont demandé si je savais piloter un bateau. J’ai dit oui. Ils m’ont répondu que je pouvais payer seulement 500 euros si je tenais la barre. »

Son avocat souligne la précarité extrême de son client : sans argent, sans réseau, il a accepté cette proposition pour avoir une chance de passer. Il n’avait jamais piloté de zodiac de sa vie. Il a simplement tenu la barre droite jusqu’à ce que tout bascule.

Un quatrième homme toujours recherché

À l’origine, quatre personnes avaient été mises en examen. Le quatrième suspect, un autre Soudanais, a réussi à gagner l’Angleterre dans les heures qui ont suivi le naufrage. Un mandat d’arrêt international a été émis, transmis aux autorités britanniques. Il reste introuvable à ce jour.

Cette fuite pose question : les véritables organisateurs, ceux qui restent en arrière et envoient les « petites mains » au front, sont rarement jugés. Les prévenus présents aujourd’hui sont-ils les cerveaux ou les fusibles d’un réseau beaucoup plus vaste ?

Des traversées toujours plus dangereuses

Ce naufrage de novembre 2023 n’est malheureusement pas isolé. Depuis 2018, au moins 150 personnes sont mortes ou ont disparu en tentant de traverser la Manche sur des embarcations de fortune. Les bateaux sont de plus en plus chargés, les moteurs de plus en plus faibles, les gilets de sauvetage souvent factices.

Les associations présentes à l’audience rappellent que derrière chaque traversée ratée, il y a des familles entières qui ont tout vendu pour offrir une chance à un fils, une fille, un frère. Elles demandent que la justice regarde aussi la responsabilité des politiques migratoires qui laissent les gens sans autre solution que ces zodiacs de la mort.

Le verdict attendu ce soir

Le procès doit se terminer dans la soirée. Le parquet a déjà requis des peines lourdes, estimant que les prévenus, quel que soit leur degré exact de responsabilité, ont contribué à mettre en danger des dizaines de vies.

Quelle que soit la décision du tribunal, une chose est certaine : elle ne rendra pas la vie aux trois personnes disparues ce matin de novembre, ni n’effacera la peur dans les yeux de ceux qui continuent, chaque nuit, à tenter la traversée.

La Manche reste un cimetière liquide. Et les zodiacs continuent de partir.

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