En septembre 1984, au sommet de sa gloire, Serge Lama se lance dans un défi de taille : monter une comédie musicale sur Napoléon Bonaparte. Un pari audacieux pour le chanteur de “Je suis malade”, habitué des variétés françaises. Mais aussi un coup de maître qui va marquer durablement sa carrière et laisser une empreinte indélébile dans l’histoire du spectacle musical en France.
Napoléon, une aventure implicite qui devient réalité
Si le personnage de Napoléon fascine Serge Lama depuis longtemps, comme en témoigne sa chanson “Une île” en 1970, l’idée d’en faire une comédie musicale ne s’impose pas d’emblée. C’est le directeur du théâtre du Châtelet qui le met au défi :
Je voulais faire le Châtelet, mais le patron m’a dit que je pouvais le faire que si je faisais une comédie musicale.
Serge Lama au Festival Napoléon en 2023
Le chanteur se laisse tenter et jette son dévolu sur l’empereur après avoir hésité avec Casanova. Très vite, il écrit une quarantaine de chansons, mises en musique par son complice Yves Gilbert. Le projet prend forme mais se heurte au scepticisme général.
Un plébiscite public malgré les doutes
Malgré la sortie d’un album en 1982 qui se vend à 700 000 exemplaires, porté par le tube “Marie la Polonaise”, le monde du spectacle reste dubitatif devant cette comédie musicale ambitieuse. Serge Lama doit batailler pour imposer son projet, qu’il monte finalement “avec la complicité de quelques-uns et contre l’avis de presque tout le monde”, comme il le confie au Figaro.
Mais le public est au rendez-vous : dès les premières représentations en septembre 1984, le théâtre Marigny affiche complet pour six mois. Plus d’un million de spectateurs se presseront pour voir Serge Lama en Napoléon au cours des 1500 représentations que comptera le spectacle. Un véritable plébiscite.
Austerlitz musical, Waterloo médiatique
Si “Napoléon” est l’incontestable Austerlitz de la carrière de Serge Lama, la comédie musicale sera aussi son Waterloo médiatique. Le triomphe public n’empêche pas un certain dédain de la presse intellectuelle, peu encline à célébrer cet éloge de l’empereur porté par un artiste populaire.
Serge Lama en gardera longtemps l’image d’un chanteur “réac”, ce qui pèsera sur la suite de sa carrière malgré une production prolifique de qualité. Lui qui rêvait de respectabilité auprès des élites devra se contenter de l’amour inconditionnel de son public.
Un héritage sous-estimé mais impérissable
Aujourd’hui encore, “Napoléon” reste une œuvre à part dans la carrière de Serge Lama et l’histoire de la comédie musicale en France. Injustement sous-estimé selon son créateur, ce spectacle total aux accents folks et lyriques n’a pas pris une ride.
Les chansons écrites par Serge Lama et composées par Yves Gilbert offrent un portrait nuancé et romanesque de l’empereur, entre conquêtes intimes et démesure politique. Nul doute que cette fresque musicale unique finira par trouver la place qu’elle mérite au panthéon du music-hall français.
Le coup de génie de Serge Lama avec “Napoléon” n’aura donc pas suffi à faire taire toutes les critiques. Mais 40 ans après sa création, cette comédie musicale reste un moment de grâce inégalé, porté par l’ambition folle d’un artiste qui n’aura décidément jamais rien fait comme tout le monde.