Il est 16 h 30, ce mardi 2 décembre 2025. Comme tous les jours, les parents attendent devant les grilles de l’école maternelle Alfred-Mézières, dans le quartier Haussonville à Nancy. Les enfants sortent en courant, cartables qui claquent, bonnets de travers, rires qui fusent. Et puis soudain, le silence. Des cris. Des regards affolés. Plusieurs témoins viennent d’apercevoir, à quelques dizaines de mètres, des silhouettes qui semblent porter des armes longues. En quelques secondes, l’ambiance bascule.
Une école maternelle plongée dans l’effroi en pleine sortie des classes
Le scénario cauchemar que personne n’ose imaginer. Des individus potentiellement armés, à l’heure exacte où des enfants de 3 à 6 ans quittent l’établissement. Immédiatement, les enseignants déclenchent le protocole de confinement. Les portes se verrouillent. Les stores se baissent. À l’intérieur, on explique aux petits, du mieux qu’on peut, qu’on va faire « un grand jeu du silence ».
Dehors, c’est la panique contenue. Les parents présents composent le 17. Les messages fusent dans les groupes WhatsApp des parents d’élèves. La préfecture de Meurthe-et-Moselle réagit en temps réel : « Par mesure de précaution, un confinement a été mis en place à l’école maternelle Alfred-Mézières. Les forces de l’ordre sont sur place. »
« J’ai vu ma fille derrière la vitre, elle pleurait. Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. »
Une mère de famille présente sur place
Que s’est-il réellement passé dans ce quartier d’habitude calme ?
Le quartier Haussonville-Blandan n’est pas réputé comme le plus sensible de Nancy, mais il n’est pas non plus épargné par les tensions liées au trafic de stupéfiants. Ces dernières années, plusieurs règlements de comptes ont éclaboussé les rues adjacentes. Des fusillades en plein jour en 2015 à Pulnoy, une balle perdue touchant un passant en 2018 en centre-ville, un policier blessé à coups de sabre en 2014… La liste est longue et inquiétante.
Ce 2 décembre, les premiers éléments laissent penser à un énième épisode de rivalité entre bandes. Selon plusieurs sources concordantes, les individus signalés seraient liés à un point de deal actif à moins de 500 mètres de l’école. L’hypothèse privilégiée : un groupe venu « faire passer un message » à un concurrent, sans se soucier une seconde de la présence de centaines d’enfants.
Une nonchalance criminelle qui glace le sang.
Le confinement : un protocole rodé, mais toujours traumatisant
Depuis les attentats de 2015 et surtout l’attaque d’Arras en 2023, les exercices d’alerte intrusion et de confinement font partie du quotidien des établissements scolaires. Pourtant, passer de l’exercice à la réalité reste un choc.
À Alfred-Mézières, le personnel a réagi avec un professionnalisme salué par tous. En moins de cinq minutes, les 180 élèves environ étaient mis en sécurité. Les plus petits regroupés dans les classes du fond, lumières éteintes, portes barricadées avec les tables. Les enseignants, eux, ont gardé leur calme pour ne pas affoler les enfants.
« On leur a dit qu’on jouait à cache-cache avec la police contre les méchants. Ils ont été incroyables », confie une Atsem encore tremblante plusieurs heures après.
Intervention massive des forces de l’ordre et levée progressive du confinement
La police nationale a déployé un dispositif impressionnant : une dizaines de véhicules, équipages en gilets pare-balles, armes longues sortie. Le quartier a été bouclé en quelques minutes. Les rues adjacentes fermées à la circulation. Les habitants priés de rester chez eux.
Vers 17 h 30, premiers signes de détente. Les individus suspectés ont été localisés… à plusieurs kilomètres. Aucune arme longue finalement retrouvée, mais deux pistolets automatiques et une quantité importante de drogue. Trois interpellations. Le confinement est levé progressivement, classe par classe, sous protection policière.
Les retrouvailles entre parents et enfants resteront gravées dans toutes les mémoires. Des larmes, des étreintes interminables, et cette phrase qui revient en boucle : « Plus jamais ça. »
Quand la guerre des stupéfiants s’invite à la porte des écoles
Cet incident n’est pas isolé. Partout en France, les établissements scolaires se retrouvent parfois au cœur de zones de tension liées au narcotrafic. À Marseille, des écoles ont déjà dû fermer plusieurs jours après des fusillades à proximité. À Saint-Denis, des parents ont créé des comités de vigilance. À Grenoble, des directeurs refusent d’ouvrir tant que la police n’a pas sécurisé les abords.
À Nancy, même si la situation est moins extrême, la récurrence des faits divers sécuritaires pose question. Comment en est-on arrivé à ce qu’un simple point de deal fasse peser une menace directe sur une école maternelle ?
Quelques chiffres qui font froid dans le dos (sources officielles ministère Intérieur 2024-2025) :
- Augmentation de 34 % des règlements de comptes liés au narcobanditisme en deux ans
- Plus de 420 fusillades recensées en 2024
- 49 morts et 312 blessés par balle dans des affaires de stupéfiants
- 87 % de ces faits ont lieu en zone urbaine, souvent à proximité d’équipements publics
Les parents entre colère et impuissance
Le lendemain matin, une assemblée générale improvisée a réuni plus de 150 parents devant l’école. Les mots sont durs. « On paye des impôts pour que nos enfants aillent à l’école en sécurité, pas pour jouer à Fort Boyard avec de vrais méchants », lance une mère de famille. Une autre propose de créer une association de vigilance citoyenne. Une troisième demande carrément la fermeture du point de deal identifié, à 400 mètres.
Beaucoup pointent aussi la responsabilité des pouvoirs publics : « Où sont les caméras de vidéosurveillance promises depuis trois ans ? Pourquoi n’y a-t-il pas de patrouilles régulières ? »
Vers une militarisation des abords scolaires ?
Certaines voix, minoritaires mais audibles, réclament désormais des mesures radicales : présence policière permanente aux heures d’entrée et de sortie, portiques de détection d’armes, voire agents armés dans les écoles. Des propositions qui divisent.
« Je ne veux pas que mes enfants grandissent dans une prison dorée, mais je ne veux pas non plus qu’ils servent de boucliers humains à des trafiquants », résume un père de famille.
Entre la nécessité de protéger et le risque de stigmatiser tout un quartier, la réponse n’est pas simple.
Et maintenant ?
La préfecture a annoncé le renforcement immédiat des patrouilles dans le secteur et une réunion de crise avec la mairie, l’Éducation nationale et les associations de parents dans les tous prochains jours.
Mais au-delà des mesures ponctuelles, cet événement tragique dans sa banalité croissante pose une question de fond à toute la société française : jusqu’à quand accepterons-nous que la guerre des drogues dicte sa loi jusque sur le seuil des écoles ?
Parce qu’aujourd’hui, à Nancy, ce sont des enfants de maternelle qui ont vécu l’innommable. Demain, ce sera peut-être chez vous.
Il est temps que la réponse soit à la hauteur de l’enjeu : la protection absolue de nos enfants, partout, tout le temps.









