Imaginez un bâtiment de plain-pied, entouré de grillages et de barbelés, perdu entre l’autoroute et l’océan Atlantique. À l’intérieur, 29 hommes qui n’ont plus rien à perdre. Et puis, en quelques minutes seulement, tout bascule : cris, objets qui volent, caméras aveuglées, portes défoncées. Ce n’est pas une prison. C’est un centre de rétention administrative, le CRA d’Hendaye, et le 23 novembre dernier, il a vécu l’une des mutineries les plus violentes de ces dernières années.
Quand un refus de manger fait basculer un centre saturé
Tout commence pourtant par un geste apparemment anodin : un retenu refuse de s’alimenter. En quelques instants, la situation dégénère. Les 29 personnes hébergées – la capacité maximale du centre – se soulèvent ensemble. Ce qui ressemblait à une grève de la faim se transforme en véritable émeute coordonnée.
Les agents présents décrivent une violence « extrême et soudaine ». Les retenus jettent tout ce qui leur tombe sous la main : détritus, meubles, produits d’entretien. Les caméras de vidéosurveillance sont systématiquement obstruées ou brisées. En quelques minutes, le CRA devient une zone de chaos total.
Face à l’ampleur de l’événement, les policiers sur place appellent immédiatement des renforts de la Police aux frontières. Il faudra plusieurs heures pour confiner chaque retenu dans sa chambre et reprendre le contrôle des lieux. Miracle : aucun agent n’est blessé. Mais le message est clair. Le point de rupture est atteint.
Un centre au bord de l’implosion depuis des semaines
Ce qui s’est passé à Hendaye n’est pas un accident isolé. Les syndicats de police alertent depuis longtemps sur la dégradation continue des conditions de travail dans les CRA. Et celui d’Hendaye concentre tous les ingrédients d’une bombe à retardement.
Avec ses 29 places, il tourne à plein régime depuis des mois. La majorité des retenus sont de nationalité algérienne. Or, les expulsions vers l’Algérie sont quasiment à l’arrêt en raison des tensions diplomatiques entre Paris et Alger. Résultat : des personnes qui restent bloquées parfois 80, 90 jours, voire plus – bien au-delà de la durée légale maximale de 90 jours dans certains cas exceptionnels.
Cette prolongation forcée crée une frustration explosive. À cela s’ajoute la présence croissante de profils issus du milieu carcéral, avec des antécédents judiciaires parfois lourds. Les comportements observés dans les CRA tendent à se rapprocher dangereusement de ceux constatés en prison : refus d’obtempérer, intimidations, violences.
« C’est une poudrière prête à exploser à tout moment »
Unité Police – syndicat majoritaire
Les policiers salués… mais abandonnés ?
Dans leur communiqué, les syndicats tiennent d’abord à saluer le professionnalisme des agents. Sang-froid, maîtrise technique, coordination parfaite : malgré la violence, personne n’a été blessé parmi le personnel. Un exploit quand on connaît la configuration des lieux et le faible nombre de policiers présents.
Mais derrière les félicitations, la colère gronde. Alliance Police nationale exige désormais la visite immédiate du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (F3SCT). Les agents estiment travailler dans des conditions de plus en plus dangereuses, face à des retenus qu’ils qualifient eux-mêmes de « de plus en plus virulents ».
Et ils ne sont pas les seuls à tirer la sonnette d’alarme. Même les associations qui interviennent dans les CRA reconnaissent que la prise en charge psychiatrique est largement insuffisante. Certains retenus présentent des troubles graves, incompatibles avec le cadre de la rétention administrative. Mais faute de solution alternative, ils restent là, jour après jour, alimentant les tensions.
Hendaye, symptôme d’une politique migratoire en perdition
Le CRA d’Hendaye n’est pas un cas isolé. Partout en France, les centres de rétention administrative saturent. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2024, le taux d’occupation moyen dépassait régulièrement les 95 %. Certains établissements, comme celui de Vincennes ou du Mesnil-Amelot, ont connu des mouvements de révolte similaires ces derniers mois.
Le blocage des expulsions vers certains pays (Algérie, Maroc, Tunisie, Côte d’Ivoire…) transforme ces lieux censés être transitoires en semi-prisons. Les personnes retenues savent qu’elles ont de fortes chances de rester bloquées des semaines, voire des mois. L’espoir d’une sortie rapide s’effondre. La colère monte.
Et pendant ce temps, les agents payent le prix fort. Sous-effectifs chroniques, absence de formation spécifique à la gestion de profils psychiatriques lourds, équipements parfois vétustes… Tout concourt à faire des CRA des points chauds permanents.
Que faire quand la soupape de sécurité explose ?
La mutinerie d’Hendaye pose une question brutale : jusqu’à quand va-t-on maintenir un système qui craque de toutes parts ? Fermer des centres ? Les agrandir ? Créer des structures spécialisées pour les profils psychiatriques ? Réactiver les accords diplomatiques pour relancer les expulsions ?
Aucune réponse simple n’existe. Mais une chose est sûre : ignorer les alertes répétées des policiers et des associations reviendrait à attendre la prochaine explosion. Et la suivante risque d’être encore plus grave.
Ce qui s’est passé le 23 novembre à Hendaye n’est pas qu’un « incident ». C’est le signal d’alarme d’un système au bord du gouffre. Un signal qu’il devient urgent d’entendre.
En résumé :
- 29 retenus impliqués dans une mutinerie d’une rare violence
- Dégradations massives, caméras neutralisées, jets d’objets
- Centre saturé avec une majorité d’Algériens non expulsables
- Durée de rétention bien supérieure à la moyenne nationale
- Appels désespérés des syndicats policiers pour des mesures urgentes
Le CRA d’Hendaye a retrouvé son calme depuis. Mais pour combien de temps ? La prochaine étincelle est peut-être déjà là, tapie dans un couloir, prête à embraser à nouveau ce petit bout de France coincé entre l’océan et la frontière.









