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Musiciens Exilés : La Musique Défie les Frontières

Dans un salon parisien élégant, un clarinettiste syrien joue Bartók aux côtés d'une pianiste libanaise. Exilés, ils reconstruisent leur carrière grâce à un programme innovant de parrainage. Mais comment surmontent-ils les obstacles d'un milieu concurrentiel ? Leur musique porte un message plus profond...

Imaginez un instant : des notes de clarinette qui dansent avec celles d’un piano dans un salon parisien chargé d’histoire. Ces mélodies ne sont pas seulement belles ; elles portent en elles les échos de pays en guerre, de vies bouleversées et d’une détermination farouche à ne pas abandonner la musique. C’est l’histoire de musiciens professionnels contraints à l’exil qui, loin de leur terre natale, refusent de renoncer à leur art.

Pax Musica : Un Pont Artistique pour les Musiciens Déracinés

En France, un programme novateur permet à des artistes venus d’horizons troublés de rebâtir leur parcours musical. Baptisé Pax Musica, il met en relation des musiciens professionnels en exil avec des mentors chevronnés du milieu classique. Cette initiative offre bien plus qu’un simple accompagnement : elle ouvre des portes dans un univers souvent fermé et impitoyable.

Parmi les onze sélectionnés pour cette première édition, on compte des profils venus de Syrie, d’Ukraine, du Liban, de Turquie ou d’Arménie. Plus de soixante-dix candidatures, représentant vingt-quatre nationalités, ont été examinées. Seuls les plus talentueux, après une audition rigoureuse, ont été retenus pour bénéficier d’un parrainage d’un an.

Une Sélection Exigeante et Internationale

Le processus de sélection reflète la qualité exceptionnelle des candidats. Chaque musicien doit démontrer un niveau professionnel déjà accompli. L’audition n’est pas une formalité : elle vise à identifier ceux qui possèdent non seulement la technique, mais aussi la maturité artistique nécessaire pour tirer profit du programme.

Cette diversité de provenances illustre une réalité plus large : la musique classique, loin d’être statique, s’est toujours nourrie de mouvements et de migrations. Des compositeurs comme Rostropovitch, Wagner ou Chopin ont eux-mêmes connu l’exil ou les déplacements forcés. L’histoire de la musique est indissociable de celle des déplacements humains.

Le programme Pax Musica s’inscrit dans cette continuité. Il reconnaît que le talent n’a pas de frontière et que les obstacles administratifs ou culturels ne doivent pas étouffer des carrières prometteuses.

Le Rôle Clé des Mentors

Au cœur du dispositif se trouvent les mentors : des artistes reconnus qui partagent leur expérience et leur réseau. Ils ne donnent pas de cours techniques – les filleuls sont déjà des virtuoses – mais transmettent ces fameux “codes informels” indispensables pour percer dans le milieu professionnel français.

Je leur distille quelques astuces et leur fais profiter de mon réseau mais je ne suis pas leur professeur de musique, ils sont déjà des artistes accomplis.

Raphaël Sévère, clarinettiste et mentor

Ces conseils portent sur la construction de programmes de concert, le choix des répertoires, le renouvellement d’instruments ou encore les contacts avec des producteurs et maisons de disques. Dans un secteur où la concurrence est féroce, ces appuis peuvent faire toute la différence.

Certains mentors puisent dans leur propre vécu. Un violiste franco-cubain raconte ainsi avoir perdu du temps à comprendre les rouages du système culturel français à son arrivée. Il souhaite épargner ces détours à la nouvelle génération.

Jules Chahine et Merly El Haddad : Un Duo Symbolique

Dans un hôtel particulier parisien, Jules Chahine, clarinettiste syrien de vingt-huit ans, interprète les Danses roumaines de Béla Bartók. À ses côtés, Merly El Haddad au piano répond avec précision et sensibilité. Le duo enchaîne ensuite avec une œuvre contemporaine du Syrien Dia Succari, jouée les yeux fermés, dans une concentration presque méditative.

Jules était membre de l’Orchestre symphonique national de Damas et enseignait la musique il y a encore trois ans. Aujourd’hui en France, il refuse de voir son parcours s’arrêter. Avec Merly, ils préparent un disque hommage aux artistes du Levant et rêvent de retourner jouer en Syrie lorsque la situation le permettra.

Leur mentor, Raphaël Sévère, les guide avec bienveillance. Lui-même marqué par l’histoire de sa mère pianiste, exilée de l’ex-Yougoslavie et dont la carrière n’a jamais pleinement décollé, il veut éviter à ce duo les mêmes écueils.

Écoutez-les, leur musique parle pour eux.

Raphaël Sévère

Cette phrase résume l’esprit du programme : laisser l’art s’exprimer au-delà des étiquettes d’exilé ou de réfugié.

Les Défis d’une Reconstruction Professionnelle

Arriver dans un nouveau pays et repartir de zéro n’est jamais simple pour un musicien. Les réseaux, les habitudes de programmation, les attentes du public diffèrent. À cela s’ajoutent parfois les traumatismes personnels.

Jules Chahine évoque pudiquement des “expériences terribles” vécues en Syrie. Pourtant, il rejette fermement l’image de la victime : se poser ainsi risquerait de reléguer la musique au second plan. Il préfère laisser les notes parler et démontrer sa valeur artistique avant tout.

D’autres participants, comme le jeune violoniste ukrainien Toma Bervestsky, arrivé adolescent en France, ne peuvent plus compter sur le soutien familial direct. Son père, chef d’orchestre resté en Ukraine, est trop loin pour l’aider au quotidien.

Ces obstacles sont amplifiés dans le milieu classique, souvent perçu comme hermétique. Passer du conservatoire à une carrière stable est déjà ardu pour un musicien local ; pour un étranger, les barrières culturelles et administratives s’ajoutent.

Résidences et Concerts : Des Espaces de Bienveillance

Pax Musica ne se limite pas au parrainage individuel. L’association organise des résidences collectives et des concerts dans des territoires éloignés des grandes scènes classiques. Ces moments permettent aux musiciens de jouer ensemble dans un cadre sécurisant.

Pour Jules, ces rencontres sont précieuses : “Quand on est ensemble, je profite, je joue avec joie, je ne me sens pas obligé de prouver quelque chose et je sens de la bienveillance.” Loin de la pression concurrentielle habituelle, ces espaces favorisent l’échange et la reconstruction de la confiance.

Ces initiatives touchent aussi le public. En se produisant hors des métropoles, les artistes contribuent à démocratiser la musique classique et à sensibiliser à leur parcours sans jamais tomber dans le misérabilisme.

Une Initiative Soutenue et Prometteuse

Portée par une quinzaine de partenaires institutionnels et associatifs, Pax Musica bénéficie d’un solide ancrage. Sa fondatrice, Hélène Daccord, insiste sur l’universalité de la migration dans l’histoire musicale. Le nom même de l’association – paix par la musique – traduit cette ambition de réconciliation et d’ouverture.

Pour les musiciens concernés, l’impact est concret : conseils pratiques, mise en réseau, opportunités scéniques. Mais au-delà, le programme restaure une forme de dignité artistique. Il rappelle que le talent mérite de s’exprimer, quelles que soient les circonstances qui ont conduit l’artiste sur un nouveau chemin.

La musique transcende les frontières, les langues et les conflits. À travers Pax Musica, ces artistes exilés prouvent que l’art reste un refuge et une force de résilience. Leurs notes portent l’espoir d’un retour possible, mais aussi la certitude que la création ne s’arrête jamais.

En écoutant ces musiciens, on comprend que leur parcours n’est pas seulement une histoire individuelle. C’est aussi un témoignage sur la capacité de l’art à guérir, à connecter et à défier l’adversité. Dans chaque mesure jouée à Paris résonne un peu de Damas, de Beyrouth ou de Kiev.

Leur détermination invite à la réflexion : comment accueillons-nous les talents venus d’ailleurs ? Comment favorisons-nous leur épanouissement plutôt que de les cantonner à leur statut d’exilé ? Pax Musica apporte une réponse concrète et humaine.

À travers ces duos, ces résidences et ces mentorats, une communauté se tisse. Une communauté où la musique redevient ce qu’elle a toujours été : un langage universel capable de panser les plaies et d’ouvrir des horizons nouveaux.

Les prochaines éditions du programme s’annoncent déjà. Et avec elles, l’espoir que de plus en plus de voix musicales, arrachées à leur sol natal, trouvent en France un terreau fertile pour continuer à s’épanouir.

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