Comment un ancien chef militaire peut-il se transformer en symbole de démocratie ? L’histoire de Muhammadu Buhari, ancien président du Nigeria décédé à 82 ans, incarne cette question. De ses années de pouvoir autoritaire dans les années 1980 à son élection en 2015 comme président d’un pays en quête de renouveau, son parcours est une fresque complexe, mêlant espoirs, contradictions et défis irrésolus. Plongeons dans la vie de cet homme qui a marqué l’histoire du Nigeria, le géant démographique et économique de l’Afrique.
Un Parcours Hors Norme : De l’Armée à la Démocratie
Muhammadu Buhari, né dans le nord musulman du Nigeria, a d’abord forgé sa réputation en tant que militaire rigoureux. En 1983, il prend le pouvoir par un coup d’État, renversant le président démocratiquement élu Shehu Shagari. À l’époque, le Nigeria, miné par la corruption et l’instabilité, cherche un leader fort. Buhari lance alors une campagne emblématique, surnommée guerre contre l’indiscipline, visant à restaurer l’ordre et à lutter contre la corruption endémique.
Cette période militaire est marquée par une répression sévère. Des opposants politiques sont emprisonnés, des hommes d’affaires accusés de malversations sont arrêtés, et la discipline devient le mot d’ordre. Cependant, ce régime autoritaire ne dure que 20 mois. En 1985, un autre coup d’État met fin à son pouvoir, et Buhari est écarté. Cette chute marque un tournant, mais pas la fin de son influence.
Une Réputation d’Intégrité
Contrairement à de nombreux dirigeants nigérians, Buhari n’a pas amassé de richesses personnelles pendant son passage au pouvoir militaire. Cette image d’honnêteté devient un atout précieux dans sa carrière politique ultérieure. Une anecdote rapportée par Bola Ahmed Tinubu, actuel président du Nigeria, illustre cette réputation :
Laissez un Naira dans une pièce avec Buhari. Vous le trouverez encore sur la table à votre retour.
Bola Ahmed Tinubu, 2019
Cette intégrité perçue contraste avec l’image de nombreux politiciens nigérians, souvent associés à des scandales financiers. Elle devient un pilier de sa campagne lorsqu’il décide, des années plus tard, de se présenter à la présidence sous la bannière de la démocratie.
Le Retour en Force : Élection de 2015
Après trois tentatives électorales infructueuses, Muhammadu Buhari remporte l’élection présidentielle de 2015 face au président sortant Goodluck Jonathan. Cette victoire est historique : pour la première fois, un président nigérian en exercice est battu lors d’une élection. Buhari, désormais présenté comme un démocrate converti, axe sa campagne sur deux promesses majeures : éradiquer la corruption et mettre fin à l’insurrection jihadiste de Boko Haram.
L’espoir est immense. Le Nigeria, avec ses 180 millions d’habitants à l’époque, aspire à un changement radical. La population, lassée des scandales et de l’insécurité, voit en Buhari un homme capable de remettre le pays sur les rails. Mais les défis sont colossaux, et les attentes, peut-être irréalistes.
Les Défis d’un Premier Mandat
Le premier mandat de Buhari (2015-2019) est marqué par des résultats mitigés. Sur le front de la corruption, les progrès sont limités. Malgré des discours fermes, des enquêtes visant des proches du gouvernement affaiblissent la crédibilité de son engagement. Sur le plan sécuritaire, la lutte contre Boko Haram ne tient pas ses promesses. Dès 2015, Buhari déclare le groupe jihadiste techniquement vaincu, mais les attaques continuent, provoquant des milliers de morts et des déplacements massifs de populations.
Sur le plan économique, le Nigeria traverse une récession entre 2016 et 2017, exacerbée par la chute des prix du pétrole, dont le pays dépend fortement. Le chômage, notamment chez les jeunes, atteint des niveaux alarmants, et des millions de Nigérians vivent dans une pauvreté extrême. Ces difficultés alimentent les critiques envers Buhari, accusé de favoriser les élites du nord musulman au détriment du sud chrétien.
Chiffres Clés du Nigeria sous Buhari
- Population déplacée : 2 millions de personnes à cause des violences.
- Chômage des jeunes : Plus de 30 % en 2020.
- Pauvreté : 40 % de la population en extrême pauvreté.
Réélection en 2019 : Un Soutien Régional
Malgré un bilan critiqué, Buhari est réélu en 2019, porté par un fort soutien dans le nord du Nigeria. Cette victoire reflète la fracture régionale du pays : le nord, majoritairement musulman, reste fidèle à Buhari, tandis que le sud, à majorité chrétienne, lui reproche un népotisme marqué par la nomination de proches à des postes clés. Ces tensions régionales deviennent un défi majeur de son second mandat.
La pandémie de Covid-19 en 2020 aggrave la situation économique. La chute des prix du pétrole réduit les recettes publiques, tandis que les conditions de vie se détériorent. Buhari doit également faire face à un mouvement social sans précédent : les manifestations End SARS.
End SARS : Une Crise Majeure
En octobre 2020, des milliers de jeunes Nigérians descendent dans les rues pour protester contre les violences policières, en particulier celles de l’unité spéciale SARS. Le mouvement End SARS, porté par une jeunesse connectée et déterminée, devient un cri de ralliement contre les abus de pouvoir et les injustices. Buhari promet des réformes et dissout l’unité incriminée, mais les manifestations persistent.
Le 20 octobre 2020, la situation dégénère à Lagos. Après l’instauration d’un couvre-feu, des forces de sécurité ouvrent le feu sur des manifestants pacifiques, provoquant des morts et un tollé international. Cet événement, connu sous le nom de massacre de Lekki, reste une tache sombre sur le bilan de Buhari.
Les manifestations ont été récupérées par des criminels.
Autorités nigérianes, octobre 2020
Cette déclaration des autorités, visant à justifier la répression, est largement critiquée. Elle reflète la difficulté de Buhari à répondre aux aspirations d’une jeunesse en quête de justice et de changement.
Un Héritage Contrasté
Après avoir quitté le pouvoir en 2023, Buhari se retire dans sa ville natale de Daura, loin des projecteurs. Son héritage divise. Pour certains, il incarne l’intégrité et la discipline dans un pays où la corruption est omniprésente. Pour d’autres, son incapacité à résoudre les crises sécuritaires et économiques, ainsi que sa gestion autoritaire des manifestations, ternissent son bilan.
Le Nigeria reste confronté à des défis majeurs : insécurité, pauvreté, fractures régionales. L’histoire de Buhari illustre la complexité de gouverner une nation aussi diverse et dynamique. Son parcours, d’un militaire inflexible à un président démocratiquement élu, pose une question essentielle : peut-on transformer un pays en s’appuyant sur une vision du passé ?
Les Points Clés à Retenir
- Buhari a marqué le Nigeria par son régime militaire et ses mandats présidentiels.
- Sa lutte contre la corruption et Boko Haram n’a pas atteint les résultats escomptés.
- Le mouvement End SARS a révélé les tensions entre le pouvoir et la jeunesse.
- Son héritage reste débattu, entre intégrité personnelle et échecs politiques.
En conclusion, Muhammadu Buhari laisse derrière lui un Nigeria toujours en quête de stabilité et de prospérité. Son histoire, faite de succès et de controverses, reflète les défis d’un pays aux ambitions immenses mais aux obstacles persistants. Que retiendra l’histoire de cet homme ? Seul le temps le dira.