Imaginez un pays parmi les plus pauvres du monde, frappé par des catastrophes climatiques, mais assis sur un trésor énergétique capable de bouleverser son avenir. Le Mozambique, avec ses réserves gazières colossales découvertes au large de la province de Cabo Delgado, est à l’aube d’une transformation majeure. Pourtant, ce rêve d’Eldorado gazier est teinté d’espoirs, de défis et de controverses. Entre projets titanesques, insurrections violentes et enjeux climatiques, l’avenir du pays oscille entre miracle économique et mirage incertain.
Un Tournant pour le Mozambique
Le Mozambique s’apprête à devenir un acteur incontournable sur la scène énergétique mondiale. Avec la levée récente de la force majeure qui paralysait le projet de TotalEnergies depuis 2021, le pays entre dans une nouvelle phase. Ce projet, porté par le consortium Mozambique LNG, représente un investissement massif de 20 milliards de dollars. TotalEnergies, principal actionnaire avec 26,5 %, pilote cette initiative qui pourrait propulser ce pays d’Afrique australe parmi les grands producteurs de gaz naturel liquéfié (LNG).
Ce n’est pas seulement une question d’argent. Les réserves gazières du bassin de Rovuma, estimées à plus de 5 000 milliards de mètres cubes, pourraient alimenter des puissances européennes comme la France ou l’Allemagne pendant deux décennies. Mais ce potentiel économique s’accompagne de défis colossaux, entre instabilité sécuritaire et pressions environnementales.
Des Réserves Gazières Exceptionnelles
Au début des années 2010, la découverte de gigantesques gisements de gaz au large de Cabo Delgado a déclenché une véritable ruée énergétique. Ces réserves, parmi les plus importantes d’Afrique, placent le Mozambique dans une position stratégique. Selon un rapport de 2018, elles pourraient répondre aux besoins énergétiques de plusieurs nations européennes pendant près de 20 ans. Cette manne suscite l’intérêt des multinationales, mais aussi des critiques acerbes.
Le Mozambique pourrait devenir l’un des dix premiers producteurs mondiaux de gaz d’ici 2040, représentant 20 % de la production africaine.
Rapport Deloitte, 2024
Cette abondance contraste avec la réalité du pays, classé parmi les plus vulnérables au changement climatique selon le World Risk Index de 2023. Les cyclones et inondations récurrents frappent durement les populations, rendant l’exploitation gazière à la fois prometteuse et paradoxale.
Les Projets Phares de l’Industrie Gazière
Le projet de TotalEnergies n’est pas le seul à façonner l’avenir énergétique du Mozambique. D’autres initiatives d’envergure sont en cours, portées par des géants comme l’Italien ENI et l’Américain ExxonMobil. Voici un aperçu des principaux projets :
- Projet Mozambique LNG (TotalEnergies) : Un investissement de 20 milliards de dollars avec des installations de liquéfaction onshore. Les premières livraisons sont prévues quatre ans après la reprise.
- Coral Sul (ENI) : Une plateforme offshore flottante, opérationnelle depuis 2022, avec une réplique en construction plus au nord.
- Rovuma LNG (ExxonMobil) : Un projet de grande envergure, en attente de la décision finale d’investissement en 2026.
Ces initiatives pourraient transformer le Mozambique en un hub gazier mondial. Cependant, leur mise en œuvre dépend de la stabilisation de la région et de la gestion des impacts environnementaux.
Un Contexte Sécuritaire Explosif
La province de Cabo Delgado, où se concentrent les projets gaziers, est en proie à une insurrection jihadiste depuis 2017. L’attaque de Palma en mars 2021, menée par un groupe affilié à l’État islamique, a marqué un tournant tragique. Cette offensive a fait 801 morts, selon l’ONG Acled, et a contraint TotalEnergies à suspendre ses opérations.
Les survivants et les familles des victimes ont porté plainte en France contre TotalEnergies, accusant le groupe de négligence dans la sécurisation des sous-traitants. Par ailleurs, des accusations d’exactions par des soldats mozambicains chargés de protéger le site ont émergé, entraînant l’ouverture d’enquêtes par les autorités locales.
Depuis 2017, le conflit a causé plus de 6 200 morts et forcé des centaines de milliers de personnes à fuir. Malgré l’intervention de forces rwandaises, financées par l’Union européenne, les attaques persistent, bien que moins meurtrières.
Un Paradoxe Climatique
Alors que le Mozambique subit de plein fouet les effets du changement climatique, l’exploitation intensive du gaz naturel soulève des inquiétudes. Les projets de LNG sont qualifiés de bombes climatiques par des ONG comme Justica Ambiental. La transformation du gaz en liquide, nécessaire pour son transport, est énergivore et émet des gaz à effet de serre.
Le Mozambique est à la croisée des chemins : devenir un géant énergétique ou préserver son environnement déjà fragilisé.
Collectif Say No to Gas
Pourtant, l’Union européenne, en quête de diversification énergétique face à la dépendance au gaz russe, soutient financièrement l’opération rwandaise pour sécuriser la région. Ce paradoxe met en lumière les tensions entre sécurité énergétique et impératifs climatiques.
Des Retombées Économiques Incertaines
Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une croissance spectaculaire pour le Mozambique, atteignant 10 % en 2028-2029, lorsque les projets gaziers entreront en production. Cependant, les bénéfices locaux restent incertains. Le projet de TotalEnergies, par exemple, ne devrait générer que 5 000 emplois directs au pic de la construction.
Pour maximiser les retombées, les autorités mozambicaines ont créé un fonds souverain. Mais les précédents scandales de détournement de fonds dans le pays suscitent des doutes sur la gestion de cette manne. La population locale, confrontée à la pauvreté et aux déplacements forcés, espère des améliorations concrètes.
| Projet | Investisseur principal | Statut | Impact économique attendu |
|---|---|---|---|
| Mozambique LNG | TotalEnergies | Reprise imminente | 5 000 emplois directs |
| Coral Sul | ENI | Opérationnel depuis 2022 | Production équivalant à 25 % de Mozambique LNG |
| Rovuma LNG | ExxonMobil | Décision finale en 2026 | Production supérieure à Mozambique LNG |
Les Défis Politiques et Sociaux
La reprise des projets gaziers intervient dans un contexte politique tendu. Les élections générales d’octobre 2024, marquées par des irrégularités, ont déclenché trois mois de contestations. Ces troubles ont retardé les progrès sur le terrain, ajoutant une couche d’incertitude.
Plus de 200 000 personnes ont été déplacées par les violences récentes, dont la moitié depuis septembre 2024, selon l’ONU. Les besoins humanitaires s’intensifient, tandis que les promesses de prospérité gazière peinent à se concrétiser pour les communautés locales.
Un Équilibre Précaire
L’avenir du Mozambique repose sur un équilibre délicat. D’un côté, les projets gaziers offrent une opportunité unique de sortir de la pauvreté et de stimuler l’économie. De l’autre, les risques climatiques, sécuritaires et sociaux menacent de transformer cet Eldorado en mirage.
Pour que cette manne profite réellement au pays, il faudra une gouvernance transparente, des investissements dans les infrastructures locales et une prise en compte des préoccupations environnementales. Le Mozambique peut-il relever ce défi ? L’avenir le dira.
