Les relations déjà tendues entre la Russie et l’Allemagne viennent de prendre un nouveau tournant dramatique. Moscou a annoncé mercredi l’expulsion de deux journalistes de la chaîne publique allemande ARD, affirmant qu’il s’agissait d’une mesure de représailles à la fermeture du bureau moscovite de la chaîne russe Pervy Kanal sur ordre de Berlin. Cependant, le gouvernement allemand a fermement démenti avoir ordonné une telle fermeture.
Cet incident diplomatique survient au lendemain d’une autre querelle opposant la Russie au Royaume-Uni. Moscou a renvoyé un diplomate britannique accusé d’espionnage et sanctionné une dizaine de ministres du gouvernement de Keir Starmer, suscitant la vive condamnation de Londres. Ces tensions entre la Russie et deux proches alliés de l’Ukraine interviennent à un moment où les Européens tentent de faire front commun pour soutenir Kiev, tout en attendant avec appréhension l’arrivée de l’imprévisible Donald Trump à la Maison Blanche en janvier.
Une Chaîne D’État Russe Au Cœur De La Polémique
L’affaire a débuté mercredi matin lorsque Ivan Blagoï, le correspondant à Berlin de Pervy Kanal, a annoncé à l’antenne qu’il devait quitter l’Allemagne avec son collègue caméraman Dmitri Volkov. Selon lui, les autorités allemandes considèrent cette chaîne d’État comme une menace pour la sécurité du pays et un dangereux organe de propagande, alors que des millions de russophones vivent en Allemagne. La chaîne a montré à l’écran un document partiel de l’Office de l’immigration de Berlin signifiant à M. Blagoï que son titre de séjour ne serait pas renouvelé.
Dans la foulée, le vice-ministre russe des Affaires étrangères Alexander Grouchko a promis que Moscou riposterait à Berlin de manière proportionnée. Une vingtaine de médias allemands sont actuellement accrédités en Russie. Puis, lors de son briefing hebdomadaire, la porte-parole du ministère Maria Zakharova a annoncé des « mesures équivalentes en représailles à l’encontre des journalistes du bureau moscovite de l’ARD », citant nommément le correspondant Frank Aischmann et son collègue Sven Feller. Elle a déploré « l’escalade » choisie selon elle par Berlin.
Berlin Réfute Les Accusations De Moscou
De son côté, le ministère allemand des Affaires étrangères a démenti « avoir fermé » le bureau de Pervy Kanal, comme l’affirmait la chaîne russe. Une porte-parole du ministère a déclaré lors d’un point presse :
Les affirmations russes sont fausses : le gouvernement fédéral n’a pas fermé le bureau de cette chaîne, et les journalistes russes peuvent exercer librement et sans entrave en Allemagne.
Cependant, Berlin n’a pas précisé si les deux journalistes russes s’étaient effectivement vu refuser la prolongation de leur titre de séjour. Pour sa part, ARD a affirmé que l’expulsion de ses deux employés, qui ont jusqu’au 16 décembre pour quitter la Russie, « marque une nouvelle dégradation dans les relations avec la Russie » où « la pression sur les journalistes occidentaux n’a cessé d’augmenter » depuis février 2022.
Pervy Kanal, Fer De Lance De La Propagande Du Kremlin
Pervy Kanal est l’un des médias les plus virulents dans sa défense de la guerre en Ukraine. De nombreuses personnalités y martèlent un discours anti-occidental et appellent même à des frappes nucléaires contre l’Occident. La chaîne est dirigée par Konstantin Ernst, une figure centrale du paysage médiatique russe qui fait l’objet de sanctions européennes. Cet homme de 63 ans, aux manettes depuis 1999, a aidé à bâtir l’image du président Vladimir Poutine, notamment en mettant en scène les grandes cérémonies illustrant sa toute-puissance.
La Liberté De La Presse En Péril En Russie
Depuis le début de son offensive en Ukraine, Moscou a considérablement accru la pression sur les journalistes occidentaux dans le pays, limitant drastiquement le nombre de visas accordés et imposant un renouvellement tous les trois mois seulement. Plusieurs reporters occidentaux ont dû quitter le territoire russe, tandis que l’Américain Evan Gershkovich a passé plus d’un an en prison avant d’être libéré dans un échange de prisonniers. Dans le même temps, de nombreux journalistes russes indépendants ont pour la plupart dû fuir le pays, et d’autres ont été incarcérés ou classés « agents de l’étranger ».
Cette nouvelle affaire d’expulsion de journalistes illustre une fois de plus la dégradation de la liberté de la presse en Russie et la volonté du Kremlin de contrôler strictement le discours médiatique. Dans ce contexte de tensions exacerbées et de désinformation à grande échelle, il est plus que jamais crucial de défendre le droit des journalistes à exercer librement leur métier et à informer l’opinion de manière indépendante et objective, sans craindre les représailles ou la censure.