Le 2 février 2021, le corps sans vie d’une baleine à bec de Cuvier s’échoue sur une plage de l’île de Ré, en France. Rapidement, les scientifiques soupçonnent l’implication d’un sonar militaire dans ce décès brutal. Après trois ans d’enquête, leurs conclusions font frémir : des tests industriels réalisés par un géant de l’armement dans une aire marine protégée auraient « probablement » causé la mort du mammifère. Ce drame remet en lumière les menaces qui pèsent sur la faune océanique et interroge sur la réglementation en vigueur pour préserver ces espèces vulnérables.
Une mort violente aux causes mystérieuses
C’est une macabre découverte qui attend les habitants d’Ars-en-Ré ce matin de février 2021. Sur la plage git le cadavre d’une femelle baleine à bec de Cuvier, une espèce réputée pour sa timidité et ses plongées profondes. L’autopsie pratiquée par des chercheurs révèle rapidement des lésions internes inquiétantes :
La nécropsie montre des hémorragies aux poumons, à la rate et au foie, compatibles avec une mort traumatique liée à un choc impulsionnel.
Jérôme Spitz, codirecteur de l’observatoire Pelagis à La Rochelle
Immédiatement, les scientifiques soupçonnent l’implication d’un sonar, ces ondes sonores utilisées notamment par les sous-marins militaires. Une « forte suspicion » qui va donner lieu à une longue enquête pour reconstituer le puzzle de cette mort brutale.
Sur la piste d’un exercice militaire
Pendant plusieurs mois, un comité scientifique réuni par l’association Esprit de Velox traque le moindre indice. En étudiant les courants marins, les chercheurs parviennent à remonter jusqu’au lieu du drame, au large de l’île de Noirmoutier, dans une zone pourtant classée Natura 2000. Et là, stupeur : une source bien informée révèle qu’au moment du décès de la baleine, une frégate militaire menait des essais de sonar dans ce secteur !
Ces tests étaient pilotés par le groupe industriel Naval Group pour le compte d’un client étranger. Selon un porte-parole de l’entreprise, il s’agissait de qualifier les performances d’un sonar de chasse aux sous-marins « à puissance maximale ». Un exercice visiblement réalisé au mépris de toute précaution environnementale…
Une réglementation en eaux troubles
Ce drame met en lumière les failles béantes de la réglementation actuelle concernant la protection des aires marines. Si les nuisances sonores des navires civils sont encadrées, rien n’est prévu pour limiter l’impact des sonars militaires sur la faune. Un angle mort juridique dans lequel s’est engouffré Naval Group pour réaliser ses essais.
On ne peut pas demander aux autres de faire attention 365 jours par an pour que le 366e, un bateau de guerre vienne tuer des baleines !
François Frey, fondateur d’Esprit de Velox
Face au tollé, Naval Group assure avoir revu ses procédures, en augmentant graduellement la puissance des sonars pour laisser le temps aux animaux de fuir. Mais pour les défenseurs de l’environnement, il est urgent d’aller plus loin en instaurant de véritables normes contraignantes pour toutes les activités, y compris militaires, dans les zones protégées.
Un électrochoc pour sauver les océans
Cette tragédie agit comme un terrible révélateur de la vulnérabilité des mammifères marins face aux nuisances sonores sous-marines. Selon les scientifiques, les sonars peuvent provoquer chez ces animaux des lésions des tissus, des hémorragies internes, voire des échouages en masse comme celui observé en Australie en 2020.
Au-delà des cétacés, c’est tout l’écosystème marin qui est menacé par cette pollution acoustique invisible mais ravageuse. Perturbation des communications, modification des comportements, réduction des capacités de survie… Les ondes sonores artificielles dérèglent la vie sous-marine.
Cet électrochoc doit pousser les gouvernements et les industriels à s’emparer d’urgence du sujet. L’adoption de seuils et de protocoles stricts dans les aires marines protégées apparaît incontournable, tout comme la mise au point de technologies plus silencieuses. Il en va de l’avenir de la biodiversité marine et de la santé de nos océans. Faute de réaction rapide, d’autres mammifères rejoindront cette baleine à bec dans les profondeurs d’une mer de plus en plus silencieuse et vide.