Imaginez un homme qui a navigué entre les salles obscures des années 1970, les plateaux de tournage sulfureux et les rêves d’un cinéma d’auteur à la Truffaut. Jean-François Davy, décédé le 2 mai 2025 d’une crise cardiaque à la veille de ses 80 ans, était cet homme. Sa vie, un roman foisonnant, mêle audace, contradictions et une passion indéfectible pour le cinéma. De ses comédies paillardes à ses documentaires audacieux, il a marqué une époque où la France oscillait entre liberté sexuelle et conservatisme.
Un Pionnier du Cinéma Érotique
Dans les années 1970, la France post-68 s’ouvre à une nouvelle liberté. Les mœurs se relâchent, et le cinéma suit le mouvement. Jean-François Davy, alors jeune cinéaste, saisit cette vague. Ses films, à la croisée des genres, capturent l’esprit d’une époque. Mais qui était vraiment cet homme derrière la caméra ?
Les débuts : une trilogie audacieuse
Le nom de Jean-François Davy s’impose avec une trilogie qui fait sourire autant qu’elle choque : Bananes mécaniques (1972), Prenez la queue comme tout le monde (1973) et Q (1974). Ces comédies paillardes, comme il les appelait, ne sont pas des films X, mais des œuvres légères, rabelaisiennes, qui jouent avec l’érotisme sans franchir la ligne du hardcore. Elles attirent un public curieux, avide de cette liberté nouvelle.
« C’était une époque où le cinéma pouvait être coquin sans être vulgaire. Davy savait doser l’humour et l’érotisme. »
Un critique anonyme des années 1970
Ces films, tournés avec des budgets modestes, rencontrent un succès inattendu. Ils incarnent une France pompidolienne, entre gauloiserie et révolution sexuelle. Pourtant, Davy ne se contente pas de ce succès facile. Il veut aller plus loin, explorer les limites du cinéma.
Exhibition : un tournant visionnaire
En 1975, Davy frappe un grand coup avec Exhibition, un documentaire qui suit Claudine Beccarie, une des premières actrices X françaises. Ce film, sélectionné au Festival de Cannes, n’est pas un simple film érotique. Il mêle confessions intimes, réflexion sur la jouissance et une scène finale de masturbation non simulée qui marque les esprits.
À une époque où le cinéma d’auteur flirte avec le porno – pensez à L’Empire des sens de Nagisa Oshima – Exhibition se distingue. Diffusé dans des salles classiques comme l’UGC Odéon, il attire trois millions de spectateurs. Davy, visionnaire, donne la parole à une femme, montrant son humanité au-delà de son corps.
Fait marquant : Exhibition devient le premier film X diffusé le samedi soir sur Canal +, signe de son impact culturel.
Un cinéma engagé : donner la parole aux femmes
Davy ne s’arrête pas à Exhibition. Il explore la réalité du sexe dans des documentaires comme Prostitution ou Pornocrates. Dans ces œuvres, il donne la parole à des prostituées et des actrices X, souvent marginalisées. Leur témoignage, brut et sans filtre, révèle la marchandisation du sexe et les ambiguïtés de leur métier.
Contrairement à l’image d’un cinéma porno frivole, Davy montre une facette sociale. Ses films questionnent le consentement, la liberté et les rapports de pouvoir. Pour son fils Mathieu, avocat, son père était un « visionnaire » qui a su capter les évolutions de la société.
Les contradictions d’un cinéaste
Mais la carrière de Davy n’est pas sans ombres. Pour « faire bouillir la marmite », il tourne des films X plus conventionnels, où le consentement des actrices, vu avec le prisme d’aujourd’hui, peut sembler flou. Ces productions, typiques du porno artisanal des années 1970, contrastent avec ses ambitions d’auteur.
Car Davy rêvait d’un autre cinéma. Proche des Cahiers du Cinéma dans sa jeunesse, il admirait François Truffaut et produisit La meilleure façon de marcher de Claude Miller, avec Patrick Dewaere. Pourtant, ses tentatives de retour au cinéma classique, comme Chaussette surprise (1978), furent des échecs commerciaux, le plongeant dans des difficultés financières.
« C’était un cinéaste frustré, un ovni qui rêvait d’une carrière à la Mocky. »
Sylvie Davy, sa troisième épouse
Une vie au-delà du cinéma
Jean-François Davy n’était pas seulement cinéaste. Homme d’affaires avisé, il comprit avant beaucoup l’essor de la vidéo et du DVD. Il lança la collection Les Films de ma vie, éditant des classiques du cinéma mondial. Immobilier, hôtellerie au Sénégal : il touchait à tout avec un flair remarquable.
Son fils Mathieu le décrit comme un homme à l’instinct humain hors norme, capable de rebondir face aux échecs. Jusqu’à sa mort, Davy travaillait sur deux scénarios et rêvait de produire un film de Jean Becker. Sa vie, pleine de malentendus, fut un tourbillon d’ambitions et d’imprévus.
Période | Œuvre ou activité | Impact |
---|---|---|
1972-1974 | Trilogie Bananes mécaniques, Prenez la queue, Q | Succès public, incarnation de la liberté sexuelle |
1975 | Exhibition | 3 millions de spectateurs, sélection à Cannes |
Années 1980 | Films X artisanaux | Financement de projets, mais réputation controversée |
Années 1990-2000 | Édition DVD, immobilier | Diversification, succès entrepreneurial |
Un héritage contrasté
L’héritage de Jean-François Davy est difficile à cerner. Pionnier du cinéma érotique, il a su capturer l’esprit d’une époque. Ses documentaires, en donnant la parole aux femmes, ont posé des questions essentielles sur la sexualité et la société. Pourtant, ses incursions dans le porno hardcore et ses échecs dans le cinéma classique laissent un goût d’inachevé.
Son fils Mathieu insiste sur son énergie : « Il était rock’n’roll, refusant l’idée de vieillir en Ehpad. Sa mort, la veille de ses 80 ans, est presque une dernière pirouette. » Davy repose désormais à Quiberville-sur-Mer, auprès de ses parents, dans un décor loin des néons des salles X.
Pourquoi Davy nous parle encore
Jean-François Davy incarne une époque révolue, celle d’un cinéma audacieux, parfois maladroit, mais toujours sincère. Ses films, qu’ils soient légers ou provocateurs, reflètent les tensions d’une société en mutation. Ils nous rappellent que le cinéma, même dans ses formes les plus controversées, est un miroir de son temps.
Aujourd’hui, alors que le cinéma érotique s’est réinventé avec des œuvres comme Emmanuelle ou Babygirl, l’héritage de Davy reste pertinent. Il nous invite à questionner les frontières entre art, érotisme et exploitation, et à célébrer ceux qui, comme lui, ont osé prendre des risques.
Un cinéaste qui a su capturer l’âme d’une époque, avec ses excès et ses rêves.