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Mort d’Anicet Ekane en Prison : l’ONU Exige la Vérité

À 74 ans, Anicet Ekane, figure historique de l’opposition camerounaise, est mort en détention seulement dix jours après son arrestation. L’ONU parle de consternation et exige une enquête rigoureuse… Mais que s’est-il réellement passé derrière les murs du Secrétariat d’État à la Défense ?

Imaginez un homme de 74 ans, figure respectée de l’opposition depuis des décennies, arrêté la veille d’une élection présidentielle controversée, puis retrouvé sans vie dix jours plus tard dans une prison militaire. C’est la réalité brutale qui frappe le Cameroun depuis lundi dernier.

Une mort qui choque la communauté internationale

Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme n’a pas mâché ses mots. Vendredi, il s’est déclaré consterné par le décès en détention d’Anicet Ekane, président du Mouvement Africain pour la Nouvelle Indépendance et la Démocratie (Manidem).

Arrêté le 24 octobre à Douala, transféré à Yaoundé et détenu au Secrétariat d’État à la Défense (SED), l’opposant est décédé lundi dans des circonstances qui restent, pour l’instant, officiellement floues.

« Nous sommes consternés par le décès en détention d’un chef de l’opposition, Anicet Ekane, et préoccupés par le sort des manifestants détenus suite à l’élection présidentielle »

Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme

Qui était vraiment Anicet Ekane ?

À 74 ans, Anicet Ekane n’était pas un opposant lambda. Fondateur et président du Manidem, il incarnait la gauche nationaliste camerounaise, un courant politique rare et souvent marginalisé dans le paysage national.

Son parti avait initialement soutenu Maurice Kamto lors de la dernière présidentielle. Candidature rejetée, le Manidem s’était rabattu sur Issa Tchiroma Bakary, qui s’est depuis autoproclamé vainqueur du scrutin et président élu du Cameroun.

C’est précisément ce soutien public à la revendication de victoire de Tchiroma qui aurait motivé l’arrestation d’Anicet Ekane et de plusieurs autres responsables politiques.

Une arrestation en pleine tempête électorale

Le 24 octobre, à Douala. La ville économique vibre encore de l’attente des résultats officiels. Paul Biya, 92 ans, au pouvoir depuis 1982, brigue un huitième mandat.

Le lendemain, sa victoire est annoncée. Mais plusieurs candidats et mouvements contestent les chiffres. Parmi eux, Issa Tchiroma Bakary, soutenu par le Manidem d’Anicet Ekane.

C’est dans ce contexte explosif que l’opposant de 74 ans est interpellé avec d’autres cadres politiques. Direction Yaoundé, puis le SED, une structure connue pour détenir des prisonniers politiques et militaires.

Le Secrétariat d’État à la Défense : une prison controversée

Le SED n’est pas une prison ordinaire. Relevant directement du ministère de la Défense, il est souvent pointé du doigt par les organisations de défense des droits humains pour ses conditions de détention et son opacité.

Selon le ministère camerounais de la Défense, Anicet Ekane y était détenu « dans le cadre d’une enquête ouverte pour diverses infractions graves relevant de la compétence du Tribunal Militaire ».

Mais aucune précision n’a été donnée sur la nature exacte de ces « infractions graves ».

L’annonce d’une enquête… mais laquelle ?

Face à la polémique grandissante, les autorités camerounaises ont annoncé l’ouverture d’une enquête « pour déterminer avec précision les circonstances du décès ».

Une annonce accueillie avec scepticisme par l’ONU, qui exige que cette enquête soit rigoureuse et impartiale et que « justice soit rendue ».

Car l’histoire camerounaise est jalonnée de promesses d’enquêtes qui n’aboutissent jamais lorsqu’il s’agit de morts en détention d’opposants ou de journalistes.

Les exigences très claires de l’ONU

Au-delà du cas Anicet Ekane, le Haut-Commissariat a élargi sa demande :

  • Une enquête indépendante et transparente sur les circonstances du décès
  • Que justice soit rendue si des responsabilités sont établies
  • La libération immédiate et sans condition de tous les manifestants arrêtés arbitrairement après l’élection

Des exigences qui placent le régime de Paul Biya sous une pression internationale croissante.

Un schéma malheureusement récurrent

La mort d’Anicet Ekane s’inscrit dans une longue liste de cas troublants au Cameroun. Opposants, journalistes, défenseurs des droits humains : nombreux sont ceux qui, après leur arrestation, ne ressortent jamais vivants des geôles du régime.

Le SED, en particulier, traîne une réputation sulfureuse. Des témoignages anciens font état de torture, de mauvais traitements, d’absence de soins médicaux pour les détenus âgés ou malades.

À 74 ans, Anicet Ekane était-il en mesure de supporter les conditions de détention dans une prison militaire ? La question hante désormais les milieux politiques et les organisations internationales.

Le silence assourdissant du pouvoir

À l’heure où ces lignes sont écrites, aucune communication officielle détaillée n’a été faite par le gouvernement camerounais sur les causes exactes du décès.

Aucune autopsie indépendante n’a été annoncée. Aucun accès n’a été accordé à la famille ou aux avocats pour consulter le corps ou le dossier médical.

Un silence qui, plus que tout, alimente les soupçons les plus graves.

Vers une nouvelle crise des droits humains ?

La mort d’Anicet Ekane pourrait marquer un tournant. Après des années de relative discrétion internationale sur la situation camerounaise, concentrée principalement sur le conflit anglophone, le regard du monde se tourne à nouveau vers Yaoundé.

L’ONU, mais aussi probablement d’autres organisations comme Amnesty International ou Human Rights Watch, risquent de durcir le ton dans les prochains jours.

Et pendant ce temps, des dizaines, peut-être des centaines de manifestants croupissent encore dans les prisons camerounaises pour avoir simplement contesté les résultats d’une élection.

La question est désormais de savoir si le régime de Paul Biya, 92 ans et plus isolé que jamais sur la scène internationale, acceptera de faire la lumière sur cette affaire.

Ou s’il choisira, une fois de plus, l’opacité et le silence.

L’histoire, elle, jugera.

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