En ce début d’automne, un vent de pessimisme souffle sur l’économie allemande. Selon le dernier rapport de l’institut de recherche ZEW, le moral des investisseurs outre-Rhin a chuté de façon spectaculaire en septembre, bien plus que ne le prévoyaient les analystes. Cet effondrement de la confiance suscite de vives inquiétudes quant à la santé de la première puissance économique européenne, dont le secteur industriel tourne déjà au ralenti depuis plusieurs mois.
Une dégringolade qui en dit long
L’indice ZEW, qui évalue les attentes économiques des experts des marchés financiers, a perdu pas moins de 15,6 points en un mois, retombant à 3,6 points en septembre contre 19,2 en août. Un plongeon bien plus brutal qu’anticipé par le consensus d’experts sondés par Factset, qui tablaient sur un indice à 16,6 points.
Proche de zéro, ce niveau indique que le nombre d’optimistes et de pessimistes est désormais quasiment à l’équilibre. Pour Achim Wambach, président du ZEW, cet effondrement montre que “l’espoir d’une amélioration rapide de la situation économique s’estompe clairement”.
Une tendance à long terme
Si cette chute brutale peut paraître surprenante, elle s’inscrit en réalité dans une tendance baissière continue entamée cet été, après 11 mois consécutifs de hausse. Une inflexion positive avait été permise par l’amélioration de la consommation des ménages, soutenue par l’augmentation des salaires, un marché du travail robuste, et le reflux global de l’inflation.
Le gouvernement avait même relevé au printemps ses prévisions de croissance pour 2023, tablant désormais sur une hausse du PIB de 0,3%. Mais ces espoirs semblent aujourd’hui s’envoler.
L’industrie allemande dans la tourmente
Ce regain de pessimisme coïncide avec une série de mauvaises nouvelles pour le secteur manufacturier allemand, véritable moteur de la croissance de ce pays exportateur. Des poids lourds comme Volkswagen ou BASF ont récemment annoncé des plans de restructuration drastiques, avec à la clé des fermetures d’usines et des milliers d’emplois menacés.
L’industrie allemande, déjà fragilisée par la pandémie et la guerre en Ukraine, peine à retrouver sa compétitivité et sa place de leader mondial.
– Carsten Brzeski, économiste chez ING
Après avoir résisté en 2022, la production industrielle a chuté de 1,4% en juillet sur un mois, puis de 0,7% en août. Des indicateurs avancés, comme les commandes à l’industrie ou le taux d’utilisation des capacités, ne laissent présager aucun rebond à court terme.
Des répercussions sur la croissance ?
Cette perte de confiance des investisseurs pourrait avoir des conséquences tangibles sur l’activité économique. Un autre indice du ZEW, portant sur l’évaluation de la situation économique actuelle, a également reculé en septembre pour atteindre -84,5 points, son plus bas niveau depuis mai 2020 en pleine pandémie.
Contrairement aux prévisions gouvernementales, de nombreux instituts économiques se montrent désormais pessimistes pour 2023, anticipant au mieux une stagnation du PIB. Selon le ZEW, la révision en baisse des prévisions est beaucoup plus marquée en Allemagne que dans le reste de la zone euro.
L’Allemagne pourrait entrer en récession au 2nd semestre si les entreprises réduisent leurs investissements et leurs embauches face aux perspectives moroses.
– Jörg Krämer, économiste chez Commerzbank
Un défi pour le gouvernement Scholz
Ce changement brutal d’atmosphère place le chancelier Olaf Scholz face à un dilemme. Son gouvernement de coalition, en place depuis fin 2021, a jusqu’ici maintenu le cap de la consolidation budgétaire après les déficits records liés au « quoi qu’il en coûte » de la crise sanitaire.
Mais la dégradation des perspectives met la pression pour un soutien accru à l’économie. Les appels se multiplient pour prolonger des mesures d’aides aux ménages et aux entreprises, notamment sur le prix de l’énergie, et pour relancer l’investissement public.
Olaf Scholz va devoir trouver un équilibre délicat entre consolidation des finances publiques et nécessité de stimuler une économie en panne sèche.
– Friedrich Heinemann, chercheur au ZEW
Son espace budgétaire reste cependant contraint par le rétablissement en 2024 du « frein à l’endettement », qui limite strictement les déficits. La marge de manœuvre dépendra de l’ampleur du ralentissement et des rentrées fiscales. Un nouveau bras de fer s’annonce au sein de la coalition.
Un risque pour la zone euro
Les difficultés allemandes font craindre des répercussions sur l’ensemble de la zone euro, dont la première économie représente environ un tiers du PIB. Un coup de froid outre-Rhin pèserait sur la demande adressée aux partenaires commerciaux.
Le moral des investisseurs est également en berne dans d’autres pays comme la France et l’Italie, sur fond de resserrement monétaire de la BCE et d’une inflation toujours élevée. Après avoir mieux résisté que prévu en début d’année, la croissance de la zone euro devrait nettement ralentir au 2nd semestre.
Si l’Allemagne plonge en récession, elle risque d’entraîner ses voisins dans son sillage. C’est tout le rebond post-Covid de l’économie européenne qui est en jeu.
– Gilles Moec, chef économiste chez Axa
La BCE a d’ailleurs revu à la baisse en septembre ses prévisions de croissance 2023 pour la zone euro, à 0,9% contre 1,6% en juin. Mais ce scénario pourrait encore se dégrader si le marasme allemand s’aggrave.
Conclusion
Le fort recul du moral des investisseurs allemands en septembre fait donc figure d’avertissement. Il témoigne de la fragilité du rebond économique post-pandémie outre-Rhin, et des défis structurels auxquels est confrontée la première puissance industrielle européenne pour restaurer sa compétitivité.
Alors que les moteurs traditionnels de la croissance allemande s’essoufflent, le gouvernement Scholz va devoir faire preuve d’inventivité pour soutenir l’activité sans renier ses engagements budgétaires. L’enjeu n’est pas seulement national, mais européen. Une rechute de l’Allemagne fragiliserait la reprise encore précaire de toute la zone euro.
Les prochains mois seront donc décisifs pour savoir si le pessimisme des investisseurs n’est qu’un trou d’air passager, ou s’il augure d’un réel retournement de cycle. Le suspense reste entier.