Il est deux heures du matin quand les portes automatiques des urgences du CHU Lapeyronie s’ouvrent brutalement. Un homme de 34 ans, le visage fermé, soutient son frère aîné qui boite lourdement, une tache sombre et grandissante sur le bas de son pantalon. Une blessure par balle. L’histoire commence comme tant d’autres dans certaines zones de nos villes, mais elle révèle rapidement des détails qui interrogent sur la sécurité et le respect des décisions judiciaires.
Une nuit ordinaire qui bascule dans le drame
Les faits se déroulent dans la nuit du 9 au 10 décembre 2025. L’adresse mentionnée par les témoins et les premiers éléments de l’enquête ? Le 949 avenue Louis Ravas, à Montpellier. Un lieu que les habitants du quartier connaissent malheureusement bien : un point de deal notoire où l’activité ne s’arrête jamais vraiment, même en plein hiver.
La victime, âgée de 34 ans, reçoit un projectile dans la jambe. Le blessé est pris en charge immédiatement. Les chirurgiens l’opèrent en urgence, mais son pronostic vital n’est jamais engagé. Un “simple” blessé par balle, diraient certains avec une certaine lassitude. Pourtant, chaque blessure de ce type raconte une partie de la guerre silencieuse que se livrent les réseaux de trafic de stupéfiants.
Un frère sous le coup d’une interdiction de séjour
Ce qui transforme cette affaire en quelque chose de plus lourd, c’est la situation du frère cadet. Âgé de 31 ans, celui qui accompagne la victime n’avait tout simplement pas le droit d’être là. Une mesure d’interdiction de séjour sur l’ensemble du département de l’Hérault pesait sur lui. Une décision judiciaire prise dans le cadre d’affaires précédentes, sans doute liées au même milieu.
Dès son arrivée à l’hôpital, les policiers, alertés par le personnel soignant comme le veut le protocole pour toute blessure par arme à feu, vérifient son identité. Le verdict tombe rapidement : l’homme viole ouvertement son interdiction. Menottes aux poignets, direction la garde à vue. Un nouveau dossier qui vient s’ajouter à un casier judiciaire probablement déjà bien fourni.
« Il savait très bien qu’il n’avait rien à faire ici. Venir accompagner son frère blessé, c’est presque un acte de défi envers la justice. »
Un policier expérimenté du secteur, sous couvert d’anonymat
Le fléau des points de deal et des règlements de comptes
Derrière cet épisode se cache une réalité que beaucoup de Français découvrent seulement quand elle frappe leur ville : les points de deal sont devenus des zones de non-droit où la loi du plus fort, ou du plus armé, prévaut. À Montpellier comme à Marseille, Grenoble ou Lyon, les fusillades pour le contrôle d’un bout de trottoir se multiplient.
En 2024 déjà, l’Hérault avait enregistré une hausse préoccupante des violences liées au narcobanditisme. Les chiffres officiels font état de plusieurs dizaines de règlements de comptes en Occitanie, dont une partie dans l’agglomération montpelliéraine. Et 2025 semble partir sur la même lancée, voire pire.
Les habitants, eux, vivent au quotidien avec cette menace diffuse. « On entend les scooters toute la nuit, on sait que ça vend en bas de l’immeuble, mais on n’ose plus rien dire », confiait il y a quelques mois une mère de famille du quartier Mosson. L’avenue Louis Ravas n’est pas très éloignée de ces zones sensibles.
L’interdiction de séjour : une mesure efficace ou un pansement sur une jambe de bois ?
Créée pour éloigner les délinquants récidivistes des territoires où ils commettent leurs méfaits, l’interdiction de séjour est censée couper les réseaux à la racine. En théorie, elle empêche un individu de revenir sur les lieux de ses anciennes activités criminelles.
Mais dans la pratique ? Le frère de 31 ans prouve que certains n’hésitent pas à braver l’interdiction, même au risque de se retrouver immédiatement en prison. Contrôles insuffisants, absence de bracelet électronique pour ce type de mesure, difficulté à surveiller des dizaines de personnes : les raisons du non-respect sont nombreuses.
Et quand l’interdit revient, c’est souvent pour des raisons familiales… ou pour continuer le business. Dans le cas présent, accompagner son frère blessé peut sembler humain. Mais dans l’univers du trafic, la frontière entre solidarité familiale et complicité est parfois très mince.
Que nous dit cette affaire sur l’état de la sécurité en France ?
Ce fait divers n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une série longue et inquiétante. Des jeunes hommes armés qui n’hésitent plus à tirer dans les jambes (ou pire) pour un regard de travers ou une dette non honorée. Des individus interdits de séjour qui reviennent comme si de rien n’était. Des quartiers entiers où la police peine à reprendre la main durablement.
Les pouvoirs publics multiplient les annonces : renforts policiers, opérations coup de poing, démantèlements de réseaux. Mais sur le terrain, les résultats peinent à se faire sentir pour le citoyen lambda qui croise chaque soir des silhouettes encagoulées au pied de son immeuble.
Et pendant ce temps, les hôpitaux continuent de recevoir, nuit après nuit, des blessés par balle qui refusent bien souvent de parler. Code du silence, peur des représailles, ou simple habitude : les enquêtes patinent et les auteurs restent trop souvent impunis.
Vers une réponse pénale plus ferme ?
Certains magistrats et policiers appellent depuis longtemps à un durcissement des peines pour les violations d’interdiction de séjour, surtout quand elles sont liées au trafic de stupéfiants. Prison ferme systématique, bracelets électroniques, expulsion pour les étrangers en situation irrégulière : les propositions ne manquent pas.
Mais la question reste entière : comment faire respecter une décision de justice quand l’intéressé évolue dans un milieu où la peur du gang est souvent plus forte que celle du juge ?
L’affaire des deux frères de Montpellier, aussi banale puisse-t-elle paraître aux yeux de certains, pose une nouvelle fois la question de notre capacité collective à reprendre le contrôle de territoires qui nous échappent peu à peu. Car derrière chaque blessé par balle, il y a des familles qui basculent, des enfants qui grandissent dans la violence, et une société qui se fracture un peu plus.
En attendant les résultats de l’enquête et les suites judiciaires, l’avenue Louis Ravas continuera probablement son activité nocturne. Et les urgences du CHU Lapeyronie resteront prêtes à accueillir le prochain blessé. Parce que, malheureusement, il y en aura un prochain.









