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Monaco Refuse la Légalisation Totale de l’Avortement

Le Prince Albert II vient de bloquer la légalisation totale de l’avortement à Monaco. Une décision qui ravive le débat entre tradition catholique et droits des femmes. Mais derrière ce refus, qu’est-ce qui se joue vraiment pour les Monégasques ? La réponse risque de vous surprendre…

Imaginez un pays de deux kilomètres carrés où la religion catholique est encore religion d’État, où le Prince a le dernier mot, et où une proposition de loi peut être stoppée net par une simple intervention souveraine. C’est exactement ce qui vient de se passer à Monaco. Le débat sur l’avortement, que l’on croyait apaisé en Europe, resurgit avec force dans la Principauté.

Un refus clair et assumé du gouvernement princier

Lundi soir, lors de la séance publique du Conseil National, le chef du gouvernement, Christophe Mirmand, a officiellement mis fin au processus de légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Une proposition pourtant adoptée en mai dernier par 19 voix contre 2 par les élus monégasques ne sera jamais transformée en projet de loi.

Cette décision fait suite à une prise de position très claire du Prince Albert II. Quelques jours avant la fête nationale, le souverain avait prévenu dans une interview : le cadre actuel correspond à l’identité profonde du pays, marquée par la place centrale du catholicisme.

Le message est on ne peut plus limpide : à Monaco, certaines lignes rouges ne se franchissent pas.

L’identité catholique, pilier intouchable de la Principauté

Christophe Mirmand l’a redit avec solennité : « La religion catholique et ses princes sont le socle de notre identité. » Dans un monde en perpétuel bouleversement, cette profondeur spirituelle et historique constitue, selon lui, une richesse à protéger absolument.

« Dans une époque de bouleversement continu, elle donne à notre collectivité et à chacun de ses membres une profondeur dont nous devons avoir conscience et que nous devons protéger. »

Christophe Mirmand, chef du gouvernement monégasque

Ce n’est pas seulement une question juridique. C’est une affirmation d’appartenance. Monaco n’est pas une république laïque comme la France voisine. Le catholicisme y est inscrit dans la Constitution et imprègne encore fortement la vie publique.

Ce choix assumé place la Principauté dans une position singulière en Europe occidentale, où la très grande majorité des pays a légalisé l’IVG sans restriction de motif dans les premières semaines de grossesse.

Ce qui est déjà autorisé… et ce qui ne le sera pas

Contrairement à une idée parfois répandue, Monaco n’a pas un cadre totalement restrictif. Depuis 2009, l’IVG est déjà permise dans trois cas précis :

  • Risque grave pour la santé de la mère
  • Risque grave pour la santé de l’enfant à naître
  • Grossesse consécutive à un viol

Depuis 2019, une avancée supplémentaire a été actée : la dépénalisation totale de l’IVG. Concrètement, une femme qui choisit d’avorter en France voisine ne risque plus aucune poursuite pénale à son retour à Monaco.

Mais un point bloque encore : le remboursement. Les caisses d’assurance maladie monégasques ne prennent pas en charge l’IVG réalisée à l’étranger. Résultat : des centaines de femmes – Monégasques, résidentes ou salariées – doivent avancer des frais importants, parfois plusieurs milliers d’euros.

Le cœur du débat : le remboursement ou la légalisation locale

C’est là que le bât blesse. La proposition du Conseil National ne visait pas à « imposer une vision » ni à encourager l’avortement. L’objectif était plus pragmatique : permettre la prise en charge financière sur place ou, à tout le moins, le remboursement des actes réalisés en France.

Béatrice Fresko-Rolfo, présidente de la commission Famille et Égalité, n’a pas mâché ses mots après le refus gouvernemental :

« Il ne s’agissait pas d’imposer une vision, encore moins d’encourager quoi que ce soit. Il s’agissait simplement de les prendre en charge à Monaco. Mais au lieu de cela, vous continuez d’envoyer nos problèmes en France. »

Béatrice Fresko-Rolfo

Pour elle et plusieurs élus, continuer à « exporter » le problème vers la France n’est ni digne ni équitable, surtout pour les femmes les plus modestes.

Une identité qui évolue… mais jusqu’où ?

Thomas Brezzo, président du Conseil National, a tenté une synthèse nuancée. Oui, l’identité catholique est fondamentale. Non, elle ne doit pas devenir « un argument d’immobilisme ».

Il a rappelé que Monaco a su évoluer sur d’autres sujets sensibles sans renier ses racines :

  • Autorisation des jeux d’argent
  • Tolérance ancienne de la prostitution
  • Accès libre à la contraception
  • Travail autorisé le dimanche

Autant de pratiques qui, ailleurs, ont parfois été jugées contraires à l’enseignement catholique strict, mais que la Principauté a intégrées sans crise identitaire majeure.

Alors pourquoi l’avortement reste-t-il la frontière infranchissable ?

Les réalités humaines derrière les principes

Chaque année, plusieurs dizaines de femmes monégasques ou résidentes se rendent dans les cliniques niçoises ou cannoises pour pratiquer une IVG. Certaines sont cadres supérieures, d’autres employées de maison, étudiantes ou épouses de salariés. Toutes n’ont pas les moyens d’avancer 800 à 2 000 euros sans remboursement.

Le parcours est lourd : rendez-vous médical, délai de réflexion, déplacement, parfois hébergement. Sans parler de la charge émotionnelle. Beaucoup vivent ce moment dans la solitude et la discrétion la plus totale.

Pour ces femmes, le refus monégasque sonne comme un abandon. Elles restent citoyennes ou résidentes d’un État riche qui préfère détourner le regard plutôt que d’assumer une réalité pourtant bien présente.

Un micro-État dans un monde globalisé

Monaco vit une situation paradoxale. Avec 39 000 habitants dont seulement 9 000 Monégasques de souche, la Principauté est cosmopolite. Plus de 140 nationalités s’y croisent. Beaucoup de résidents viennent de pays où l’IVG est libre et remboursée.

Cette diversité crée une tension permanente entre les valeurs historiques portées par la famille princière et les attentes d’une population jeune et internationale.

Le Prince Albert II, sensible aux questions écologiques et sociétales, avait pourtant ouvert certaines portes par le passé (dépénalisation en 2019). Son refus actuel marque une limite nette : sur la vie naissante, pas de compromis.

Et maintenant ?

Le sujet n’est pas clos. Plusieurs élus l’ont répété : rien n’est figé. L’évolution démographique, les nouvelles générations de Monégasques, la pression européenne pourraient, à terme, rouvrir le débat.

Mais pour l’instant, la ligne souveraine est tracée. Monaco reste l’un des tout derniers territoires européens où l’avortement hors cas exceptionnels reste interdit et non remboursé.

Un choix qui interroge. Entre fidélité à une identité séculaire et accompagnement concret des femmes en détresse, la Principauté a tranché. Un jour, peut-être, le balancier repartira dans l’autre sens. Pour l’heure, le Rocher reste fidèle à ce qu’il est : un État catholique, princier, et résolument à part.

À Monaco, le débat sur l’avortement révèle plus qu’une question médicale ou juridique : il met en lumière la force persistante d’une identité catholique dans un monde qui semble aller toujours plus vite dans le sens inverse.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Un État a-t-il le droit de maintenir des lois fondées sur des convictions religieuses quand une partie de sa population en souffre concrètement ? Le débat est ouvert.

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