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Mode au Tadjikistan : Entre Tradition et Contrôle

Au Tadjikistan, ni hijabs ni minijupes : les femmes contraintes de suivre un manuel strict. Une politique qui divise et interroge. Que cache ce contrôle ?

Imaginez un pays où votre garde-robe est scrutée par le gouvernement, où ni un foulard trop couvrant ni une jupe trop courte ne trouvent grâce aux yeux des autorités. Bienvenue au Tadjikistan, une nation d’Asie centrale où la mode devient un terrain de bataille politique et culturelle. À l’approche de la publication d’un manuel officiel dictant aux femmes comment s’habiller, une question se pose : jusqu’où peut aller le contrôle de l’État sur l’apparence de ses citoyennes ?

Une Mode Sous Surveillance

Dans ce pays musulman laïque, les femmes se retrouvent prises entre deux feux : les vêtements jugés trop « étrangers » sont proscrits, qu’ils soient révélateurs ou au contraire trop pudiques. Le gouvernement s’apprête à publier en juillet un guide destiné à toutes les femmes, quel que soit leur âge, pour leur indiquer quoi porter au quotidien, que ce soit à la maison ou lors d’événements festifs. D’après une source proche du ministère de la Culture, ce document s’appuie sur des recherches historiques et scientifiques pour promouvoir un style « authentiquement tadjik ».

Mais cette initiative ne convainc pas tout le monde. Une pharmacienne de la capitale, rencontrée dans les rues animées de Douchanbé, exprime son scepticisme : pourquoi se focaliser sur les vêtements alors que le pays fait face à des défis bien plus pressants, comme les coupures d’électricité ou la pollution ? Pour elle, les femmes devraient rester libres de leurs choix vestimentaires, ou du moins ne consulter que leurs proches, pas un manuel imposé d’en haut.

Une Loi pour « Protéger » l’Identité

Depuis juin 2024, une nouvelle loi interdit l’importation, la vente et même le port de vêtements jugés étrangers dans les lieux publics. Initiée par le président en poste depuis plus de trois décennies, cette mesure vise à renforcer l’identité nationale face à ce qu’il considère comme des influences extérieures néfastes. Les médias officiels relaient ce discours, critiquant aussi bien les tenues courtes inspirées de l’Occident que les voiles associés à un islam jugé radical.

Ceux qui portent des vêtements étrangers se croient supérieurs, mais ils sapent nos valeurs.

– Une déclaration attribuée au président tadjik

Ce n’est pas une nouveauté. Dès 2018, un précédent guide recommandait d’abandonner les minijupes, les décolletés et les couleurs sombres au profit de robes traditionnelles éclatantes. Aujourd’hui, cette politique s’intensifie, portée par une volonté de souder une nation marquée par une guerre civile sanglante dans les années 1990, opposant les forces gouvernementales à une coalition d’islamistes et de démocrates.

Un Passé qui Pèse sur le Présent

Le Tadjikistan, ancienne république soviétique, a hérité d’une histoire complexe. Sous l’URSS, le port du hijab était découragé, perçu comme un symbole incompatible avec la culture laïque imposée. Après l’indépendance en 1991, le retour de pratiques religieuses a coïncidé avec une crise économique, poussant certains Tadjiks vers des groupes extrémistes au Moyen-Orient ou en Afghanistan. Face à cette montée de l’islam politique, le pouvoir a choisi la fermeté.

Une co-autrice d’un projet féministe local confie que les femmes tadjikes ont toujours été sous pression, qu’il s’agisse de rejeter le voile ou d’éviter des tenues trop modernes. Cette double injonction reflète un paradoxe : le gouvernement veut à la fois effacer les traces de l’islam radical et celles de l’influence occidentale, laissant peu de place à l’expression personnelle.

Des Contrôles au Quotidien

Depuis le début de l’année 2024, les témoignages de restrictions se multiplient. Une médecin raconte avoir été sommée de dévoiler ses cheveux dans un ministère, puis au marché. Certaines de ses amies, elles aussi voilées, auraient même écopé d’amendes après des contrôles inopinés. Ces mesures se sont durcies après un attentat en Russie, attribué à des Tadjiks et revendiqué par une organisation jihadiste, renforçant la méfiance des autorités envers tout signe de religiosité visible.

  • Interdiction des vêtements « étrangers » dans les espaces publics.
  • Amendes pour les femmes portant le hijab.
  • Promotion active des tenues traditionnelles colorées.

Sur les réseaux sociaux, des vidéos circulent, montrant des femmes voilées interpellées par des agents. Une passante, devant un hôpital, explique à d’autres comment nouer un foulard « à la tadjike » pour éviter les ennuis. Cette surveillance accrue semble dessiner un quotidien où la liberté vestimentaire s’efface au profit d’un idéal national imposé.

Les Couturiers au Secours des Traditions

Pour accompagner cette politique, les artisans locaux sont mis à contribution. Un couturier de Douchanbé présente ses créations : des robes modernes inspirées du patrimoine tadjik, adaptées à la vie de tous les jours. « Pour celles qui veulent couvrir leurs cheveux, nous proposons des tissus nationaux », explique-t-il, montrant des étoffes aux motifs riches et variés.

Cette initiative pourrait séduire certaines femmes, mais elle soulève une question : est-ce une réelle célébration de la culture ou une obligation déguisée ? Pour beaucoup, le choix reste limité, entre adopter ces créations ou risquer des sanctions.

Et les Hommes dans Tout Ça ?

Si les femmes sont les premières visées, les hommes ne sont pas épargnés. Le port de la barbe, bien que non officiellement interdit, est devenu un motif de suspicion. Soupçonnés de liens avec des groupes extrémistes, certains se retrouvent interrogés ou forcés de se raser. Le ministère de la Culture envisage même un manuel spécifique pour les hommes, signe que cette politique pourrait s’étendre encore.

Catégorie Restrictions Objectif
Femmes Hijabs, minijupes interdits Promouvoir la tradition
Hommes Barbe suspecte Lutter contre l’extrémisme

Une Société Sous Tension

Derrière ces règles vestimentaires, c’est une société en quête d’unité qui se dessine. Entre les défis économiques – émigration massive vers la Russie, pauvreté persistante – et la crainte d’un retour de l’islam politique, le gouvernement mise sur le contrôle de l’apparence pour asseoir son autorité. Mais cette stratégie divise : si certains y voient une défense légitime de l’identité, d’autres dénoncent une atteinte aux libertés individuelles.

Le Tadjikistan n’est pas un cas isolé. D’autres nations ont déjà tenté de réguler la tenue de leurs citoyens, souvent avec des résultats mitigés. Ici, l’avenir dira si ce manuel et ces lois suffiront à façonner une identité nationale ou s’ils ne feront qu’alimenter les frustrations d’une population déjà sous pression.

À retenir : Le Tadjikistan impose un style vestimentaire strict pour préserver son identité, mais au prix de la liberté individuelle.

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