Un vent de colère souffle sur les campagnes françaises et allemandes. Le 1er juillet, des centaines d’agriculteurs ont convergé vers Strasbourg pour une action d’ampleur : le blocage du pont de l’Europe, reliant la France à l’Allemagne. Une accolade symbolique entre représentants syndicaux des deux pays a scellé leur unité face à une menace commune : le projet d’accord de libre-échange entre l’Union Européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay).
Une agriculture européenne sur « l’autel du sacrifice »
Les agriculteurs dénoncent le risque de « distorsion de concurrence » qu’impliquerait cet accord selon eux. Au cœur des critiques : les différences de normes de production entre l’Europe et l’Amérique du Sud.
Quand j’ai commencé ma carrière en 1990, on a interdit l’utilisation des hormones de croissance dans l’engraissement des productions de viande en France. Pendant toute ma carrière, j’ai suivi ces règles, mais dans les pays du Mercosur, ils continuent d’utiliser ces hormones.
Gérard Lorber, secrétaire général de la FDSEA Bas-Rhin
Pour les syndicats, l’amertume est grande après les mobilisations du début d’année. Ils avaient alors eu le sentiment que l’UE avait compris la nécessité de protéger ses agriculteurs. Mais aujourd’hui, ils ont le sentiment que « l’agriculture est placée sur l’autel du sacrifice » selon Yohann Lecoustey, directeur de la FDSEA du Bas-Rhin.
Un front franco-allemand uni et déterminé
La particularité de cette action : l’alliance entre agriculteurs français et allemands. Une évidence pour Horst Körkel du syndicat agricole allemand BHLV : « Cela nous semblait logique de combattre aux côtés des agriculteurs français, puisque nos objectifs sont les mêmes. » Soumis aux mêmes réglementations, ils partagent les mêmes peurs pour l’avenir.
Alexander Heitz, représentant de l’association agricole allemande de Bade, espère que « le Parlement européen va réfléchir et établir des règles de production équitables vis-à-vis de l’Amérique latine. » Pour ce producteur de bovins implanté à Kehl, « le traité est injuste en l’état et risque de nous mettre en danger en tant que producteurs. »
Un prélude à une mobilisation nationale
Cette action franco-allemande n’est qu’un prélude à une mobilisation d’ampleur nationale. L’alliance syndicale majoritaire FNSEA-JA a lancé le même jour plus de 80 actions symboliques dans toute la France.
Alors que le Mercosur exporterait vers l’UE principalement des produits agricoles (viande bovine, volaille, porc, miel, sucre…), les producteurs craignent une concurrence déloyale. Ces denrées ne répondraient pas aux mêmes normes environnementales, sociales et sanitaires qu’en Europe.
Le Copa-Cogeca, l’organisation européenne des syndicats majoritaires, a appelé l’UE à « revoir » ce projet et à « défendre une politique commerciale portant les standards rigoureux de notre agriculture. » La bataille ne fait que commencer.
Les enjeux au-delà de l’agriculture
Au-delà de l’agriculture, c’est bien la question de la souveraineté alimentaire qui est posée. Yohann Lecoustey s’indigne : « C’est une folie de déléguer à des pays tiers des sujets aussi fondamentaux que se nourrir. » Un enjeu crucial alors que les questions de sécurité et d’indépendance alimentaires reviennent au premier plan.
Cette mobilisation met aussi en lumière les tensions autour de la politique commerciale de l’UE. Entre volonté de s’ouvrir à de nouveaux marchés et nécessité de protéger ses secteurs stratégiques, l’équilibre semble difficile à trouver. Les agriculteurs, eux, ont choisi leur camp. Reste à savoir si leurs voix seront entendues à Bruxelles.
Nous espérons que le Parlement européen va réfléchir et établir des règles de production équitables pour nous vis-à-vis de l’Amérique latine.
Alexander Heitz, représentant de l’association agricole allemande de Bade
Les prochaines semaines seront décisives. Les agriculteurs sont déterminés à défendre leur modèle et leurs standards de production. Une chose est sûre : ils ne lâcheront rien. La balle est maintenant dans le camp des institutions européennes.