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Ministre Limogé Pour Avoir Qualifié Les Tirailleurs De « Traîtres »

Stupeur au Sénégal : un ministre qualifie les tirailleurs sénégalais de "traîtres" et déclenche une vague d'indignation. Le président tranche et le limoge. Retour sur une polémique qui secoue le pays...

Une vive polémique secoue actuellement le Sénégal suite aux propos choquants d’un ministre à l’encontre des tirailleurs sénégalais, ces soldats coloniaux ayant combattu pour la France. Lors d’une interview accordée à une télévision locale le 21 décembre dernier, Cheikh Oumar Diagne, alors ministre en charge de l’Administration et de l’Équipement à la présidence, a déclaré que « les tirailleurs sont des traîtres » qui se sont « battus contre leurs frères » lors des révoltes anti-coloniales en Afrique.

Ces propos ont immédiatement soulevé un tollé dans l’ancienne colonie française. De nombreuses voix se sont élevées pour fustiger cette sortie jugée « malheureuse » et « insultante » à l’égard de ceux considérés comme des « héros de la nation ». Sur les réseaux sociaux et dans les médias, les critiques ont fusé, certains réclamant purement et simplement la démission du ministre.

Le président tranche et limoge le ministre

Face à l’ampleur de la polémique, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a finalement tranché. Ce mardi, il a pris un décret pour limoger Cheikh Oumar Diagne de son poste ministériel. Bien que les raisons officielles de ce limogeage n’aient pas été précisées, cette décision est indéniablement liée à la controverse suscitée par les déclarations de l’ex-ministre à l’encontre des tirailleurs.

Le chef de l’État a nommé dans la foulée Papa Thione Dieng pour remplacer M. Diagne à ce poste stratégique au sein de la présidence de la République. Une manière de tourner rapidement la page de cet épisode embarrassant pour le pouvoir en place.

Une réaction à la hauteur de l’indignation

Les propos de l’ancien ministre ont en effet heurté une large partie de la population sénégalaise. Moustapha Njekk Sarré, le porte-parole du gouvernement, a rapidement pris ses distances avec ces déclarations, affirmant être « en total déphasage » avec M. Diagne. « Je considère que ces tirailleurs sont des héros de la Nation », a-t-il martelé lors d’une intervention sur la radio RFM.

De son côté, Lamine Bâ, porte-parole d’un collectif réunissant des fils et descendants de tirailleurs sénégalais, a vertement dénoncé les « propos insultants et honteux » du ministre limogé. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont également exprimé leur colère et leur consternation face à cette sortie jugée indigne d’un représentant de l’État.

L’héritage complexe des tirailleurs sénégalais

Cette polémique intervient dans un contexte mémoriel particulier au Sénégal. Cette année, le pays a célébré avec une ampleur inédite la commémoration des événements tragiques du 1er décembre 1944 au camp militaire de Thiaroye, près de Dakar. Ce jour-là, les forces coloniales françaises avaient ouvert le feu sur des tirailleurs rapatriés d’Europe qui réclamaient le paiement d’arriérés de solde.

Cet épisode sanglant, dont le bilan reste incertain – entre 35 et 400 victimes selon les sources –, illustre toute la complexité de l’héritage des tirailleurs sénégalais. Engagés volontaires ou conscrits de force, ces soldats africains ont combattu sous le drapeau français lors des deux guerres mondiales et des campagnes coloniales, avant de subir parfois la répression de cette même autorité coloniale.

Au-delà du cas personnel de l’ancien ministre Cheikh Oumar Diagne, cette polémique révèle les passions et les non-dits qui entourent encore aujourd’hui la mémoire de ces combattants africains pris dans les tourments de l’histoire. Près de 60 ans après les indépendances, le passé colonial reste un sujet sensible dans les relations entre la France et ses anciennes possessions africaines comme le Sénégal.

Un ministre controversé

Ce n’est pas la première fois que Cheikh Oumar Diagne fait parler de lui pour des déclarations controversées. Depuis sa nomination au sein de la présidence sénégalaise en avril dernier, ce responsable politique, par ailleurs chef d’un mouvement soutenant le pouvoir en place, a régulièrement suscité la polémique avec ses prises de position sur les chefs religieux et les confréries musulmanes, très influents dans ce pays majoritairement musulman.

Avant cela, il avait été plusieurs fois emprisonné sous le régime de l’ancien président Macky Sall, ce qui lui a valu une certaine réputation de trublion et d’opposant virulent. Son entrée au gouvernement avait d’ailleurs surpris plus d’un observateur, même si elle s’inscrivait dans la volonté affichée du nouveau président Bassirou Diomaye Faye d’ouvrir l’exécutif à des personnalités de tous bords.

Mais les nombreuses sorties polémiques du ministre, notamment à l’égard de personnalités religieuses respectées, ont fini par lui coûter son poste. Depuis plusieurs mois, de nombreux chefs religieux, fidèles et opposants réclamaient son départ de la présidence. Avec ce limogeage express, le chef de l’État sénégalais espère sans doute éteindre la polémique et calmer les esprits.

Un sujet toujours brûlant

Au-delà du cas de M. Diagne, cette affaire rappelle à quel point la question de la mémoire coloniale reste un sujet brûlant au Sénégal comme dans d’autres pays africains. Plus de 60 ans après la fin de l’empire colonial français, les plaies ne sont pas toutes refermées et les débats sur l’interprétation de ce passé douloureux continuent de diviser.

L’histoire des tirailleurs sénégalais illustre parfaitement ces ambiguïtés et ces tensions mémorielles. Encensés pour leur bravoure et leur loyauté par les autorités françaises de l’époque, ils ont dans le même temps subi les discriminations et les violences du système colonial. Après les indépendances, leur héritage a longtemps été occulté ou minimisé, avant de revenir sur le devant de la scène ces dernières années.

Ainsi, la polémique suscitée par les propos de l’ex-ministre Cheikh Oumar Diagne dépasse largement sa personne. Elle révèle les lignes de fracture qui traversent encore la société sénégalaise dès lors qu’il s’agit d’évoquer le passé colonial et ses acteurs. Un passé qui, décidément, ne passe pas.

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