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Mines Antipersonnel : Victimes au Plus Haut et Traité en Danger

6279 personnes tuées ou mutilées par des mines en 2024, record depuis quatre ans. Des enfants représentent près d’un blessé sur deux. Et pendant ce temps, des pays quittent le traité qui les interdisait… Jusqu’où ira cette spirale ?

Imaginez marcher dans un champ que vous pensiez sûr, entendre un déclic sous votre pied, et comprendre en une fraction de seconde que votre vie vient de basculer. Cette scène, des milliers de personnes l’ont vécue en 2024. Selon le dernier rapport de l’Observatoire des mines, 6279 civils et combattants ont été tués ou blessés par des mines antipersonnel et des restes explosifs de guerre. C’est le chiffre le plus élevé depuis 2020.

Un bond terrifiant du nombre de victimes

Cette augmentation de près de 500 victimes par rapport à 2023 n’est pas un hasard. Elle reflète à la fois l’intensification de certains conflits et une utilisation accrue de ces armes indignes. Parmi ces 6279 personnes, 1945 ont perdu la vie. Les autres porteront souvent à jamais les stigmates de l’explosion : amputations, brûlures, cécité.

Le plus révoltant ? 90 % des victimes sont des civils. Et parmi eux, près de la moitié sont des enfants. Un enfant qui joue, qui va chercher de l’eau ou qui accompagne ses parents aux champs devient une cible involontaire d’une arme conçue pour mutiler.

La Birmanie, championne macabre pour la deuxième année

Avec 2029 victimes enregistrées, la Birmanie reste le pays le plus touché au monde. La guerre civile qui déchire le pays depuis le coup d’État militaire de 2021 a transformé d’immenses zones rurales en champs de mort. Les deux camps utilisent massivement des mines, souvent artisanales, posées sans plan et sans marquage.

En deuxième position arrive la Syrie, avec 1015 victimes. La chute récente du régime de Bachar al-Assad a poussé des centaines de milliers de déplacés à rentrer chez eux, souvent dans des zones jamais dépolluées après quatorze ans de guerre.

L’Ukraine, terrain tragique d’une guerre industrielle

Depuis l’invasion russe de février 2022, la Russie a employé des mines antipersonnel de manière intensive sur le territoire ukrainien. Le rapport parle d’une utilisation “à grande échelle”. Des preuves crédibles indiquent également que l’Ukraine elle-même a eu recours à ces armes à plusieurs reprises, même si l’ampleur reste difficile à évaluer précisément.

Résultat : des centaines de civils ukrainiens figurent parmi les victimes, dans un pays pourtant signataire du traité d’interdiction.

« Ces développements marquent une dangereuse érosion de la norme internationale qui a sauvé d’innombrables vies depuis 1999 »

Campagne internationale pour l’interdiction des mines terrestres

Le traité d’Ottawa mis à rude épreuve

Entré en vigueur en 1999, le traité d’interdiction des mines antipersonnel (souvent appelé traité d’Ottawa) a été ratifié par 164 États. Pendant plus de vingt ans, il a constitué une des plus belles victoires du droit humanitaire. Stock détruits, production arrêtée, utilisation stigmatisée : des millions de vies sauvées.

Mais 2025 marque un tournant inquiétant. Cinq pays membres de l’OTAN – Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie et Pologne – ont annoncé leur retrait officiel, invoquant la menace russe. Ils activent l’article 20 du traité qui permet de se désengager pour raisons de sécurité nationale.

L’Ukraine, de son côté, a tenté de “suspendre” ses obligations pendant la durée du conflit, une démarche qui, selon les experts juridiques, n’est pas prévue par le texte et donc illégale.

Ces retraits successifs fragilisent la norme internationale à un moment où elle est plus nécessaire que jamais.

Une crise du financement qui aggrave tout

Parallèlement à ces dérives, le financement du déminage humanitaire s’effondre. La surface totale dépolluée en 2024 a diminué par rapport aux années précédentes. Les raisons ? Baisse des contributions internationales et insécurité grandissante qui empêche les équipes d’opérer.

L’aide aux victimes – prothèses, rééducation, soutien psychologique – ne représente que 5 % des fonds alloués aux actions contre les mines. Et cette part a chuté de près de 25 % en un an.

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche début 2025 a accentué la tendance : les États-Unis, premier donateur historique bien qu’ils ne soient pas parties au traité, ont fortement réduit leur aide bilatérale.

En résumé :

  • 6279 victimes en 2024 (+500 vs 2023)
  • 90 % de civils, dont ~45 % d’enfants
  • Birmanie (2029), Syrie (1015), Ukraine parmi les plus touchés
  • 5 pays OTAN quittent le traité
  • Financement du déminage et de l’aide aux victimes en forte baisse

Que peut-on encore espérer ?

La directrice de la Campagne internationale, Tamar Gabelnick, refuse le fatalisme : « Il n’est pas question de revenir en arrière. Les progrès accomplis sont trop importants et le coût humain trop élevé. »

Pourtant, la conjoncture est sombre. Quand des États démocratiques choisissent de réhabiliter une arme bannie depuis un quart de siècle sous prétexte de sécurité, le message envoyé au reste du monde est devastateur. Les groupes armés non étatiques, déjà peu regardants, y voient une légitimation indirecte.

Le combat contre les mines antipersonnel a prouvé qu’une norme internationale forte pouvait changer la réalité sur le terrain. Mais une norme ne tient que si les États continuent de la défendre, même quand la pression militaire est forte.

Aujourd’hui, des enfants continuent de perdre leurs jambes en jouant au foot. Des paysans ne peuvent plus cultiver leurs champs. Des familles entières vivent avec la peur permanente d’un pas de travers.

Tant que subsistera une seule mine, le travail ne sera pas terminé. Et tant que certains États estimeront que leur sécurité vaut plus que la vie d’enfants anonymes à l’autre bout du monde, ce travail restera en péril.

Le chiffre de 6279 victimes en 2024 n’est pas qu’une statistique. C’est un cri d’alarme. Un rappel brutal que les armes les plus lâches continuent de tuer longtemps après la fin des combats. Et que la communauté internationale, vingt-cinq ans après avoir dit “plus jamais”, est en train de vaciller.

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