C’est un verdict qui fera date dans l’histoire récente de Hong Kong. Ce mardi, la justice hongkongaise a rendu son jugement dans le plus grand procès jamais organisé au nom de la sécurité nationale. Les peines sont tombées, lourdes et sans appel : 45 militants pro-démocratie ont été condamnés à des peines de prison ferme pouvant aller jusqu’à 10 ans. Au cœur de l’affaire, l’organisation en 2020 d’une primaire officieuse visant à sélectionner des candidats de l’opposition en vue des élections législatives. Un scrutin considéré comme une “conspiration” par les autorités.
Une primaire devenue “subversion”
Retour sur les faits. En juillet 2020, en pleine contestation du pouvoir central, plus de 600 000 Hongkongais participent à une primaire organisée par le camp pro-démocratie. L’objectif affiché : remporter une majorité au Conseil législatif (LegCo) pour s’opposer aux projets de l’exécutif jugés liberticides. Mais Pékin n’entend pas se laisser dicter sa conduite. Quelques semaines plus tard, les autorités ripostent en faisant adopter une loi draconienne sur la sécurité nationale. Et les organisateurs du scrutin se retrouvent dans le viseur de la justice.
Fin janvier 2021, un coup de filet permet l’arrestation de 55 personnes, dont bon nombre de figures de l’opposition. Parmi elles, l’avocat Benny Tai, âgé de 57 ans et considéré comme le cerveau de l’opération. Tous sont poursuivis pour “subversion”, un crime passible de la prison à vie selon la nouvelle législation entrée en vigueur en 2020. S’ouvre alors une longue bataille judiciaire, sur fond de pressions de Pékin pour museler toute voix dissidente dans l’ex-colonie britannique.
118 jours d’audience
Le procès-fleuve des 47 inculpés démarre en février 2023, sous haute surveillance. Il durera 118 jours, mobilisant pas moins de trois juges. Dans le box des accusés, on retrouve des élus, des militants, mais aussi de simples citoyens ayant pris part au vote. L’accusation leur reproche d’avoir cherché à “paralyser le gouvernement” et à “renverser le pouvoir d’État”. Une menace pour la sécurité nationale de Hong Kong, argue le parquet.
La défense plaide au contraire le droit à une opposition politique pacifique. Mais dans le contexte de reprise en main musclée qui prévaut désormais dans le territoire semi-autonome, l’issue du procès semble jouée d’avance. Le 18 juillet, le tribunal rend finalement son verdict : 45 des prévenus sont reconnus coupables de “conspiration en vue de commettre un acte de subversion”. Seules deux militantes sont acquittées.
Lourdes peines et réactions internationales
Les peines prononcées sont à la hauteur de ce procès hors-norme. Benny Tai, présenté comme l’instigateur du scrutin, écope de 10 ans de prison. 15 autres prévenus écopent de peines allant de 6 à 8 ans de prison. Parmi eux, des figures de la contestation comme Leung Kwok-hung, vétéran du combat pro-démocratie, ou la militante Gwyneth Ho, ancienne journaliste passée en politique.
À l’annonce du verdict, les réactions internationales fusent. Washington dénonce un “affaiblissement des institutions démocratiques” à Hong Kong. Londres se dit “profondément préoccupé”. De son côté, Amnesty International voit dans ce procès la “dernière illustration en date de la campagne menée par Pékin pour écraser l’opposition”.
Les peines sévères prononcées aujourd’hui reflètent la rapidité avec laquelle les libertés civiles et l’indépendance judiciaire de Hong Kong se sont effondrées au cours des quatre dernières années
Maya Wang, directrice associée pour la Chine de Human Rights Watch
Hong Kong sous l’emprise de Pékin
Pour beaucoup d’observateurs, ce procès illustre la reprise en main express de Hong Kong par le régime chinois. Depuis les grandes manifestations pro-démocratie de 2019, Pékin a considérablement durci le ton, n’hésitant plus à intervenir directement dans les affaires du territoire. La loi sur la sécurité nationale de 2020, imposée par le pouvoir central, a servi à criminaliser toute forme de dissidence. Et le système électoral local a été remanié pour ne laisser la place qu’à des “patriotes” acquis à la cause de Pékin.
Dans ce contexte, l’opposition pro-démocratie hongkongaise apparaît aujourd’hui laminée, décapitée de ses principaux leaders. Beaucoup ont choisi l’exil, d’autres croupissent en prison. Ceux qui ont décidé de rester doivent désormais composer avec les “lignes rouges” imposées par le régime chinois. Un régime qui semble déterminé à ne plus rien laisser passer à Hong Kong, quitte à enterrer définitivement le principe “Un pays, deux systèmes” qui prévalait depuis la rétrocession.
Ce procès historique sonne donc comme un avertissement pour tous ceux qui, à Hong Kong, rêvaient encore de démocratie. Avec ces condamnations, Pékin envoie un message clair : l’heure n’est plus à la contestation, mais à la soumission. Une nouvelle ère s’ouvre pour le territoire semi-autonome, désormais étroitement contrôlé par le régime chinois. Et les espoirs de changement portés par le mouvement pro-démocratie semblent aujourd’hui plus lointains que jamais.