C’est une affaire qui jette une nouvelle lumière crue sur les dérives autoritaires du régime de Viktor Orban en Hongrie. Le 12 novembre dernier, les autorités françaises ont arrêté à Paris un militant antifasciste albanais de 32 ans, Rexhino Abazaj, sur la base d’un mandat d’arrêt européen émis par Budapest. Son crime ? Avoir participé à une contre-manifestation qui a dégénéré en marge d’un rassemblement néonazi dans la capitale hongroise en février 2023.
La Hongrie réclame l’extradition du militant pour « coups et blessures »
Surnommé « Gino », l’activiste doit comparaître ce mercredi devant la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris. La justice française doit décider si elle accède ou non à la demande d’extradition formulée par la Hongrie, qui accuse Rexhino Abazaj de « participation à une organisation criminelle » et de « coups et blessures graves » lors des heurts survenus le 11 février 2023.
Ce jour-là, comme chaque année, la ville de Budapest était le théâtre de la « Journée de l’honneur ». Un défilé commémorant la tentative désespérée des troupes nazies et de leurs supplétifs hongrois de fuir la capitale encerclée par l’Armée Rouge en 1945. L’événement, qui attire immanquablement son lot de néonazis et de nostalgiques du IIIe Reich, a été émaillé de violents affrontements avec des contre-manifestants antifascistes venus de toute l’Europe.
Plusieurs activistes européens dans le collimateur de Budapest
Selon ses avocats, Rexhino Abazaj fait partie des nombreux militants de gauche radicale visés par Budapest à travers l’Union européenne « pour leur implication supposée dans les affrontements » de février 2023. Une eurodéputée italienne, Ilaria Salis, arrêtée en Hongrie pour les mêmes faits puis relâchée au printemps 2024, a d’ailleurs pris la défense de « Gino », qu’elle présente comme « un compagnon, un ami et un frère ».
Pourtant, en raison du racisme systémique de notre pays, la citoyenneté lui a été refusée.
Ilaria Salis, eurodéputée italienne
Dans un message sur Instagram, l’élue dénonce « une fois de plus » la tentative « du tyran Orban de piétiner les valeurs de l’antifascisme et de l’État de droit ». Arrivé en Italie à l’âge de trois ans, Rexhino Abazaj s’est vu refuser la nationalité transalpine en dépit de ses attaches dans le pays. Un comble pour ce militant engagé.
Une demande de levée d’immunité parlementaire qui passe mal
Non content de réclamer l’extradition de « Gino », le gouvernement Orban a entrepris des démarches pour faire lever l’immunité parlementaire d’Ilaria Salis, désormais députée européenne avec la formation de gauche radicale « Alliance Verts et Gauche ». Une requête jugée « profondément écœurante » par les autorités hongroises.
Soyons clairs : vous n’avez pas été arrêtée pour vos ‘opinions politiques’, vous avez été arrêtée et jugée pour avoir agressé d’innocents citoyens hongrois!
Zoltan Kovacs, porte-parole du gouvernement hongrois
Pour le porte-parole de l’exécutif nationaliste Zoltan Kovacs, l’eurodéputée italienne n’est « ni une démocrate, ni un martyre mais une vulgaire crapule ». Des propos virulents qui en disent long sur la tension entourant cette affaire.
Le précédent albanais qui embarrasse la France
La justice française, qui s’est déjà réservé le droit par le passé de ne pas donner suite à des mandats d’arrêt émanant de pays de l’UE contre des militants d’ultragauche, se retrouve dans une position délicate. En mars 2024, l’Italie avait ainsi refusé de livrer à la Hongrie un autre activiste, Gabriele Marchesi, en invoquant « un risque réel de traitement inhumain et dégradant ».
Mais en 2019, la France avait de son côté accepté d’extrader vers l’Albanie un opposant politique, Nikolin Gjeloshi, malgré les protestations d’ONG dénonçant les atteintes aux droits de l’homme dans ce pays des Balkans. Un précédent embarrassant au moment où Paris entend se poser en parangon des valeurs démocratiques face aux dérives de Budapest.
L’ombre de Orban et de l’extrême droite plane sur l’affaire
Au-delà du sort de Rexhino Abazaj, c’est toute la politique répressive et liberticide du Premier ministre souverainiste Viktor Orban qui est une nouvelle fois pointée du doigt. Bête noire des europhiles, l’homme fort de Budapest, allié à l’extrême droite, est régulièrement accusé de saper l’État de droit et de museler toute forme d’opposition.
Dans ce contexte, l’acharnement judiciaire contre des militants antifascistes ayant participé à une contre-manifestation apparaît comme un symbole supplémentaire de la dérive du régime nationaliste. Une dérive ayant conduit de nombreux observateurs à s’inquiéter de voir la Hongrie s’éloigner dangereusement des valeurs fondatrices de l’UE, alors même que Budapest vient d’accueillir une rencontre des dirigeants européens.
L’affaire Abazaj illustre aussi les difficultés des démocraties libérales à trancher dans les demandes d’extraditions provenant de pays aux systèmes judiciaires contestés. Entre respect des engagements européens, droit d’asile et impératifs diplomatiques, l’équation est souvent complexe à résoudre, au risque de donner l’impression d’un «deux poids-deux mesures» préjudiciable.
Un dossier sous haute surveillance européenne
Reste que l’issue de la bataille judiciaire autour du sort de Rexhino Abazaj sera scrutée de près, bien au-delà des frontières françaises et hongroises. Car au-delà d’un militant, c’est le visage que veut se donner l’Europe qui se joue en filigrane : celui d’une Union intransigeante avec ses valeurs ou d’un espace incapable d’endiguer les autoritarismes en son sein.
En attendant, « Gino » risque de payer le prix fort de son engagement. Mercredi, devant la cour d’appel de Paris, il jouera bien plus que sa liberté. C’est un peu de l’honneur écorné d’une Europe tiraillée et ambivalente face à ses propres démons qui se retrouvera aussi sur le banc des accusés. Le verdict final pourrait faire jurisprudence et en dire long sur la réalité du projet européen aujourd’hui.