Imaginez une salle comble, vibrant au son d’un hard-rock argentin, où un président, vêtu de cuir noir, fend la foule comme une rockstar avant de s’emparer d’un micro pour chanter. Ce n’est pas un concert ordinaire, mais le lancement du dernier livre de Javier Milei, président ultralibéral de l’Argentine, qui célèbre son « miracle économique » dans une ambiance mêlant ferveur électorale et spectacle. À quelques semaines des législatives cruciales de 2025, ce show à Buenos Aires révèle autant l’énergie de Milei que les fragilités d’un pays en quête de stabilité. Mais ce « miracle » est-il aussi solide qu’il le prétend ?
Un Show entre Rock et Politique
Dans une arène bondée de près de 15 000 personnes, majoritairement jeunes et parées de violet, la couleur du parti libertarien La Libertad Avanza, Javier Milei a orchestré un événement hors norme. L’homme, connu pour son style théâtral, a fait une entrée fracassante au son de « Hola a todos, soy el león ! », une chanson emblématique du rock argentin. Accompagné de son « Groupe présidentiel », composé d’amis musiciens amateurs, dont deux députés, il a chanté avec une énergie débordante, galvanisant la foule qui scandait « Libertad, libertad ! » Ce mélange de concert et de meeting politique, dans une salle où il avait déjà célébré sa victoire présidentielle en 2023, illustre son talent pour captiver son audience.
Le show ne s’est pas limité à la musique. Après ses performances vocales, Milei a pris la parole pour présenter son dernier ouvrage, La construction du miracle : le cas argentin. Lors d’un « débat » orchestré par son porte-parole, il a vanté ses réformes économiques et son action depuis son arrivée au pouvoir en 2023. La foule, chauffée à blanc, a également été invitée à conspuer une figure de l’opposition, l’ex-présidente Cristina Kirchner, aujourd’hui assignée à résidence. Ce moment, teinté de provocation, reflète le style clivant de Milei, qui ne recule devant aucune polémique pour mobiliser ses soutiens.
Un « Miracle » Économique sous Pression
Le cœur de l’événement était la promotion du « miracle économique » revendiqué par Milei. Depuis son arrivée au pouvoir, il a réussi à faire chuter l’inflation, passant de plus de 200 % en rythme annuel à environ 33 %. Une prouesse saluée par ses partisans, qui y voient une rupture avec des décennies de crise économique. Pourtant, ce succès a un coût. Les politiques d’austérité mises en œuvre ont entraîné la suppression de dizaines de milliers d’emplois et une stagnation du pouvoir d’achat, plongeant une partie de la population dans des difficultés accrues.
« Le miracle économique argentin est étudié dans les universités du monde », s’enthousiasme Leonardo Saade, employé de 37 ans venu d’Entre Rios pour assister au show.
Mais ce « miracle » est fragile. Les marchés financiers doutent de la pérennité des réformes de Milei. La monnaie nationale, le peso, subit une pression constante, et les réserves de la Banque centrale argentine suscitent des inquiétudes. Pour stabiliser la situation, l’administration de Donald Trump, allié idéologique de Milei, a promis un soutien financier, affirmant être « prêt à faire le nécessaire ». Cette aide extérieure, bien que cruciale, met en lumière les limites de l’autonomie économique prônée par le président.
Un Contexte Électoral Explosif
À l’approche des législatives du 26 octobre 2025, Milei joue gros. Ces élections, qui renouvelleront une partie du Sénat et de la Chambre des députés, détermineront sa capacité à gouverner jusqu’à la prochaine présidentielle en 2027. Un récent revers électoral lors d’un scrutin régional a fragilisé son parti, La Libertad Avanza. Lors de son discours, Milei a minimisé cette défaite, déclarant que l’opposition « a gagné un round, mais pas la bataille ». Pourtant, le Parlement, de plus en plus réticent, a récemment rejeté plusieurs de ses vetos, signe d’une gouvernabilité précaire.
Pour galvaniser ses troupes, Milei mise sur une rhétorique offensive, dénonçant une « décadence de 100 ans » qu’il promet d’éradiquer. Cette vision manichéenne séduit une partie de la population, notamment les jeunes et ceux qui, comme Leonardo Saade, croient en un renouveau porté par ses idées ultralibérales. Mais elle divise aussi profondément, comme en témoigne la manifestation d’opposants de gauche à l’extérieur de la salle, réprimée par la police après des échauffourées.
Un Livre, une Tronçonneuse, une Mission
Le livre de Milei, La construction du miracle : le cas argentin, est au centre de cet événement. Épais de 573 pages, il compile ses discours, principalement de 2024, reprenant parfois mot pour mot des chapitres de son précédent ouvrage, Capitalisme, socialisme, et le piège néo-classique. La couverture, où il pose avec une tronçonneuse gravée de l’inscription Las fuerzas del cielo, incarne son style provocateur. Cet outil, devenu un symbole de sa campagne, représente sa volonté de « découper » l’État et ses lourdeurs bureaucratiques.
Les clés du livre :
- Une ode à l’ultralibéralisme, prônant la réduction de l’État.
- Une compilation de discours récents, centrés sur l’économie.
- Une vision messianique, où Milei se présente comme un sauveur.
Certains observateurs critiquent cet ouvrage comme un exercice d’autocélébration. Un commentateur a ironisé sur son caractère narcissique, décrivant Milei comme un homme « d’une mission impossible, dont la volonté ne connaît pas de limite ». Pourtant, pour ses partisans, ce livre est une feuille de route, un manifeste pour transformer l’Argentine et en faire un modèle étudié à l’échelle mondiale.
Une Société Divisée
Si Milei électrise ses soutiens, il suscite aussi une opposition farouche. À l’extérieur de l’événement, des manifestants de gauche ont dénoncé sa politique, accusée d’aggraver la précarité. Parmi eux, Liliana Castelnovo, une retraitée de 73 ans atteinte d’un cancer, a exprimé sa colère :
« Cet homme vit dans un autre pays, il n’a aucune idée de la faim que le peuple connaît. »
Ses mots résonnent avec une réalité brutale : les coupes budgétaires ont réduit l’accès aux soins et aux médicaments pour beaucoup. Cette fracture sociale, exacerbée par la crise économique, rend les législatives d’autant plus incertaines. Milei parviendra-t-il à rallier une majorité derrière son projet, ou son « miracle » s’effondrera-t-il sous le poids des désillusions ?
Scandales et Défis Internes
Les défis de Milei ne se limitent pas à l’économie ou aux urnes. Ces derniers mois, plusieurs proches, dont sa sœur Karina, ont été éclaboussés par des accusations de corruption. Un député de son cercle, Jose Luis Espert, a récemment dû renoncer à briguer un poste de tête de liste aux législatives après des révélations sur des liens passés avec un entrepreneur impliqué dans le narcotrafic. Ces scandales ternissent l’image d’un parti qui promettait une rupture avec les pratiques du passé.
| Défi | Impact |
|---|---|
| Inflation maîtrisée | Succès revendiqué, mais austérité critiquée |
| Pression sur le peso | Doutes sur la stabilité économique |
| Scandales de corruption | Fragilisation de l’image du parti |
Ces controverses alimentent les critiques selon lesquelles Milei, malgré son discours de renouveau, peine à incarner une gouvernance irréprochable. Alors que les législatives approchent, chaque faux pas pourrait coûter cher à un président dont la popularité repose sur sa capacité à incarner un changement radical.
Un Pari à Haut Risque
Le show de Milei, entre rock et politique, est plus qu’un simple lancement de livre. C’est une tentative de remobiliser une base électorale dans un contexte de crise. En s’appuyant sur des figures comme Donald Trump ou Charlie Kirk, il cherche à renforcer son image de leader disruptif, capable de défier les élites établies. Mais cette stratégie, si elle séduit une jeunesse en quête de rupture, risque d’aliéner ceux qui souffrent des conséquences de ses réformes.
Les semaines à venir seront décisives. Les législatives de 2025 ne détermineront pas seulement la composition du Parlement, mais aussi la viabilité du projet de Milei. Si son « miracle économique » est célébré par certains comme une révolution, d’autres y voient un mirage, masquant une réalité sociale et économique bien plus sombre. Entre espoirs et désillusions, l’Argentine retient son souffle.
Les enjeux des législatives :
- Renouvellement partiel du Sénat et des députés.
- Marge de manœuvre pour gouverner jusqu’en 2027.
- Risque de polarisation accrue de la société argentine.
En attendant, Milei continue de jouer sa partition, entre provocation et promesses de grandeur. Sa tronçonneuse, brandie comme un étendard, symbolise son ambition de tout bouleverser. Mais dans un pays fracturé, où la faim et la précarité côtoient l’espoir d’un renouveau, la question demeure : ce « miracle » est-il le début d’une ère nouvelle ou le prélude à une désillusion collective ?
