Depuis l’arrivée au pouvoir de Javier Milei en Argentine il y a un an, le pays fait face à une flambée de violence verbale sans précédent dans le débat politique. Au nom de la « liberté d’expression » et d’une communication « directe » avec le peuple, le président ultraconservateur a instauré un climat délétère fait d’insultes, d’invectives et de menaces qui inquiète de plus en plus d’observateurs.
Un répertoire d’injures présidentielles
Depuis son investiture, Javier Milei ne lésine pas sur les noms d’oiseaux pour qualifier ses opposants politiques. « Rats », « dégénérés », « caste putréfiée », la liste est longue des qualificatifs peu élogieux employés par le chef de l’État argentin dans ses discours, interviews ou sur les réseaux sociaux. Les journalistes en prennent aussi pour leur grade, régulièrement traités de « sbires », « achetés » ou « délinquants du micro ».
Selon un think tank, en un an de mandat, le président a eu recours 2173 fois à des « insultes ou humiliations » envers des personnes ou des institutions. Un triste record qui en dit long sur la dégradation du débat politique dans le pays. Les attaques ad hominem semblent être devenues la norme, reléguant les idées et arguments au second plan.
Une « armée de trolls » pour appuyer le discours présidentiel
Au-delà de la parole présidentielle, c’est tout un écosystème numérique qui se mobilise pour amplifier et propager ce discours agressif. Une véritable « armée de trolls », pour reprendre les mots de l’Association des entités journalistiques argentines (Adepa), qui multiplie les attaques verbales sur les réseaux sociaux, visant journalistes et opposants.
Ces militants ou influenceurs, se faisant appeler les « Forces du Ciel », se revendiquent comme le « bras armé » du parti libertarien de Javier Milei dans sa « bataille culturelle ». Avec le smartphone comme « arme la plus puissante de l’histoire », ils n’hésitent pas à avoir recours au harcèlement, aux menaces ou au doxing (divulgation d’informations personnelles) de leurs cibles.
Un discours qui « désinhibe » et autorise la violence
Pour de nombreux experts, cette rhétorique agressive, parce qu’elle émane de la plus haute autorité du pays, tend à banaliser et légitimer la violence, qu’elle soit verbale ou physique. « Atypique par son agressivité et sa violence symbolique, le discours de Milei tend à autoriser les autres à désinhiber ce type de violence », analyse Ezequiel Ipar, chercheur spécialiste de l’autoritarisme.
Et les exemples de dérapages se multiplient : journaliste harcelé après une enquête sur les « croisés » numériques de Milei, jeune influenceur proche du pouvoir passé à tabac, tirs de balles en caoutchouc lors de manifestations anti-Milei…Une escalade inquiétante dans un pays encore marqué par les années de dictature.
Vers une société de plus en plus polarisée
Résultat de ce climat délétère, l’Argentine semble chaque jour un peu plus coupée en deux, entre pro et anti-Milei. Selon un récent sondage, près de deux tiers des Argentins estiment que la « haine et l’intolérance » ont augmenté dans le pays depuis l’élection de Milei. Une polarisation extrême qui rend de plus en plus difficile tout dialogue ou débat apaisé dans la société.
« La violence du discours présidentiel ouvre une brèche à la violence physique »
L’Association des entités journalistiques argentines (Adepa)
Face à cette dérive inquiétante, certaines voix commencent à s’élever pour tirer la sonnette d’alarme. Des plaintes ont été déposées contre des meetings de Milei à « l’esthétique fasciste », tandis que des ONG alertent sur les dangers d’un discours de haine banalisé. Mais dans une Argentine de plus en plus divisée, il semble de plus en plus difficile de faire entendre la voix de la raison et du dialogue. Le pays est-il en train de s’enfermer dans un engrenage de violence dont il aura du mal à sortir ?