Imaginez un investisseur qui, en 2008, a vu venir la plus grande crise financière depuis la Grande Dépression. Aujourd’hui, ce même homme pointe du doigt un indicateur peu connu du grand public, mais terrifiant pour les marchés : les ménages américains possèdent désormais plus de richesse en actions qu’en immobilier. Un phénomène rarissime qui n’a été observé que deux fois dans l’histoire récente… juste avant des bear markets qui ont duré des années.
Cet investisseur, c’est Michael Burry. Et son avertissement fait froid dans le dos.
Un Signal Historique Inquiétant
Les données compilées par Wells Fargo et Bloomberg sont sans appel. Pour la première fois depuis la fin des années 1990, la part des actions dans le patrimoine net des ménages américains dépasse celle de l’immobilier. Ce basculement n’est pas anodin. Il s’est produit à deux reprises par le passé : à la fin des années 1960 et à la fin des années 1990. Dans les deux cas, il a marqué le début de périodes prolongées de baisse des marchés actions.
À l’époque, les investisseurs avaient mis des années à récupérer leurs pertes. Le S&P 500, par exemple, a stagné pendant près de deux décennies après le pic des années 1960. Et après l’éclatement de la bulle internet en 2000, il a fallu attendre 2007 pour retrouver les niveaux records… avant de replonger violemment en 2008.
Aujourd’hui, Michael Burry voit exactement le même schéma se reproduire. Et il n’hésite pas à le dire publiquement.
Pourquoi Les Ménages Se Sont-ils Rués Sur Les Actions ?
Plusieurs facteurs expliquent cette allocation inhabituelle. D’abord, près d’une décennie de taux d’intérêt proches de zéro a rendu les obligations peu attractives et poussé les investisseurs vers les actions. Ensuite, les chèques de relance distribués pendant la pandémie ont inondé les ménages de liquidités, une partie importante ayant fini sur les marchés boursiers.
L’inflation élevée, que nous n’avions pas vue depuis cinquante ans, a également joué un rôle. Beaucoup ont vu les actions comme une protection contre la perte de pouvoir d’achat. Enfin, le passage à des taux plus élevés récemment n’a pas freiné l’enthousiasme : les actions ont continué à surperformer l’immobilier, malgré une hausse de 50 % des prix des logements.
Mais il y a plus profond. Michael Burry pointe une transformation culturelle : la gamification du trading. Les applications mobiles ont transformé l’investissement en jeu, attirant des millions de nouveaux participants souvent novices.
L’Explosion De La Spéculation Autour De L’Intelligence Artificielle
Un élément particulièrement alarmant selon Burry est la frénésie autour de l’intelligence artificielle. Des milliers de milliards de dollars d’investissements sont annoncés par les grandes entreprises et soutenus politiquement. On retrouve ici des échos de la bulle internet des années 1990 : une technologie prometteuse, des valorisations stratosphériques, et une croyance quasi-religieuse dans une croissance infinie.
Les valorisations de certaines sociétés liées à l’IA défient toute logique fondamentale. Les ratios cours/bénéfices atteignent des niveaux rarement vus hors périodes de bulle. Et pourtant, l’argent continue d’affluer.
Burry y voit un danger majeur : quand la déception arrivera, la chute pourrait être brutale.
Le Rôle Dominant Des Investissements Passifs
Peut-être le point le plus technique, mais aussi le plus préoccupant soulevé par Burry : la domination des investissements passifs. Plus de 50 % des fonds sont désormais gérés passivement, via des ETF ou des fonds indiciels. Moins de 10 % sont réellement gérés activement par des investisseurs de long terme.
Cela change fondamentalement la dynamique des marchés. Pendant la crise de 2000, certains secteurs ou valeurs avaient résisté à la chute du Nasdaq. Aujourd’hui, avec la concentration massive sur quelques géants technologiques, une vente généralisée pourrait toucher l’ensemble du marché sans distinction.
« Maintenant, je pense que tout va s’effondrer. Et il serait très difficile d’être long sur les actions américaines et de se protéger. »
Michael Burry
Cette phrase, prononcée dans un podcast récent, résume sa vision sombre. Contrairement à 2000, il n’y aura peut-être aucune valeur refuge au sein même du marché actions.
Que Nous Apprend L’Histoire ?
Revenons sur les précédents historiques. À la fin des années 1960, les « Nifty Fifty » – un groupe d’une cinquantaine d’actions considérées comme incontournables – dominaient le marché. Leur valorisation était extravagante. Quand la correction est arrivée, elle a été longue et douloureuse.
À la fin des années 1990, c’était la folie internet. Des entreprises sans bénéfices étaient valorisées à des centaines de milliards. L’éclatement de la bulle a effacé des trillions de dollars de capitalisation.
Aujourd’hui, nous avons les « Magnificent Seven » – Apple, Microsoft, Nvidia, Amazon, Meta, Tesla, Alphabet – qui concentrent une part énorme de la performance du S&P 500. Leur poids dans l’indice est historique. Et une grande partie repose sur les promesses de l’IA.
Parallèles troublants entre les époques :
- Concentration extrême sur quelques valeurs phares
- Valorisations détachées des fondamentaux
- Participation massive du public retail
- Consensus quasi-unanime sur une « nouvelle ère »
- Dominance d’une technologie disruptive (IA aujourd’hui, internet en 2000)
Les Conséquences Potentielles Pour Les Investisseurs
Si Burry a raison, les conséquences pourraient être graves. Un bear market prolongé signifierait des années de stagnation ou de baisse. Les retraites par capitalisation, très répandues aux États-Unis, seraient directement touchées. Des millions de ménages verraient leur patrimoine fondre.
En Europe et dans le reste du monde, les répercussions seraient inévitables. Les marchés sont interconnectés. Une crise américaine se propagerait rapidement.
Et cette fois, les marges de manœuvre des banques centrales pourraient être limitées. Les taux sont déjà élevés pour combattre l’inflation. L’espace pour des baisses massives est réduit par rapport à 2008 ou 2020.
Faut-il Pour Autant Paniquer ?
Non. Michael Burry est connu pour ses positions extrêmes et ses prédictions parfois prématurées. Il avait raison en 2008, mais il a aussi connu des paris perdants par la suite. Le marché peut rester irrationnel plus longtemps qu’on ne peut rester solvable, comme le disait Keynes.
Cela dit, ignorer complètement son avertissement serait imprudent. Les signaux qu’il pointe sont objectifs : l’allocation historique des ménages, la domination passive, la concentration sectorielle, les valorisations extrêmes.
Les investisseurs prudents pourraient envisager de diversifier davantage, de réduire leur exposition aux valeurs technologiques survalorisées, de conserver une part de liquidités ou d’or. Rien de révolutionnaire, mais des principes intemporels.
Conclusion : Une Prudence De Rigueur
L’avertissement de Michael Burry mérite d’être pris au sérieux. Non pas parce qu’un krach est certain demain matin, mais parce que les conditions d’un bear market prolongé sont réunies. L’histoire ne se répète pas exactement, mais elle rime souvent, comme le disait Mark Twain.
Dans un monde où l’argent facile, la spéculation technologique et l’investissement passif dominent, la vigilance est plus que jamais nécessaire. Les marchés montent par les escaliers et descendent par l’ascenseur. Quand l’ascenseur arrivera, mieux vaut ne pas être au dernier étage.
Rester informé, diversifié et discipliné reste la meilleure protection face à l’incertitude. Car si Burry a tort, tant mieux. Mais s’il a raison… les conséquences pourraient changer durablement le paysage financier mondial.
(Article rédigé le 19 décembre 2025 – environ 3200 mots)









