Un procès retentissant secoue actuellement le régime de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, l’inamovible Président de Guinée équatoriale. Sur le banc des accusés : Tomás Esono Adja Andeme, 22 ans, inculpé pour le meurtre sordide de Jose Lima Gonzalo, un beau-frère du chef de l’État connu sous le surnom d' »Abuelo Lima » (grand-père Lima). Retrouvé poignardé le 22 octobre 2023 à son domicile, l’octogénaire entretenait selon l’accusation une liaison avec la compagne d’Andeme, la jeune Emilia, ce qui aurait provoqué un accès de jalousie meurtrière.
Pourtant, derrière ce fait divers sanglant se profilerait une affaire politique bien plus explosive. Pour nombre d’observateurs, cet assassinat serait en réalité un épisode des luttes de clans qui déchirent la famille Obiang Nguema en vue de la succession du Président, 82 ans, qui détient le record mondial de longévité au pouvoir pour un dirigeant non-héréditaire. La victime était en effet l’oncle de Gabriel Mbaga Obiang Lima, un rival de Teodoro « Teodorin » Nguema Obiang, le fils aîné du président considéré comme son dauphin désigné.
Un procès à rebondissements
Coup de théâtre dès l’ouverture des débats : après avoir avoué le meurtre à la télévision nationale, allant jusqu’à mimer le coup fatal, Tomás Esono Adja Andeme revient sur ses déclarations, arguant ne plus se souvenir des faits. Ses avocats invoquent son somnambulisme pour expliquer cette amnésie sélective. Mais sa compagne Emilia maintient l’avoir vu poignarder « Abuelo Lima » avant de brûler ses vêtements tachés de sang.
Autre zone d’ombre : un mystérieux correspondant aurait harcelé le suspect d’appels le soir du drame. Son identité n’a pas été révélée au procès, alimentant les soupçons d’un meurtre commandité. Le parquet a cependant balayé ces spéculations, requérant la prison à perpétuité à l’encontre de l’accusé au terme de 8 jours d’audience. Le verdict est attendu prochainement.
Une fratrie déchirée par le pouvoir
La mort violente de Jose Lima Gonzalo révèle au grand jour les profondes divisions qui minent le clan présidentiel. Loin d’être un cas isolé, elle s’inscrirait dans un vaste « plan d’extermination » du « clan Lima » orchestré par le vice-président Teodorin Obiang, héritier présomptif du trône présidentiel, pour éliminer toute opposition dans sa conquête du pouvoir suprême. Son demi-frère Gabriel Mbaga Obiang Lima, neveu de la victime, fait figure de principale épine dans son pied.
L’assassinat de José Lima Gonzalo fait partie du plan d’extermination du clan Lima
Radio Macuto, octobre 2023
Déjà, en août dernier, un autre demi-frère du vice-président, Ruslan Obiang Nsué, était condamné jusqu’à 20 ans de prison pour détournement de fonds. Une mise à l’écart qui ressemble fort à une purge politique en règle. Dans un régime où le pouvoir se transmet de père en fils, ces conflits fratricides font craindre le pire pour la stabilité du pays et la sécurité de ses citoyens, otages des ambitions dévorantes d’une dynastie prête à tout pour conserver sa mainmise sur l’État.
Vers un durcissement de la répression ?
Pour Luis Ondo, chercheur équato-guinéen en exil interrogé par notre rédaction, ces règlements de comptes sanglants annoncent une escalade de la violence d’État, le clan Obiang n’hésitant plus à s’entre-tuer pour conserver son emprise sur le pays :
Les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées et la torture sont monnaie courante sous la dictature d’Obiang. Mais qu’ils s’en prennent désormais à leur propre famille montre qu’aucune limite ne les arrêtera pour rester au pouvoir. Les jours les plus sombres sont devant nous.
Face à ses rivaux décimés, Teodorin semble donc avoir le champ libre pour succéder à son père vieillissant. Sa récente tournée dans le pays a des allures de campagne de pré-investiture. Adulé par une jeunesse qui voit en lui un prince flamboyant, il capitalise sur son image de « playboy » jet-setteur pour séduire les foules. Mais son accession au trône pourrait tourner au cauchemar pour la population, comme le redoute Luis Ondo :
Teodorin est un prédateur assoiffé de pouvoir et d’argent. Son règne serait encore plus brutal et prédateur que celui de son père. Ce procès montre qu’il est prêt à tout. Même au fratricide.
Le spectre d’une aggravation de la dictature plane donc sur la Guinée équatoriale. Dans ce contexte, l’issue du procès du meurtrier présumé d’un membre de la belle-famille présidentielle apparaît presque anecdotique. Quoi qu’il advienne de Tomás Esono Adja Andeme, le véritable coupable semble se trouver au sommet de l’État. Jusqu’où ira cette dérive meurtrière ? Dans les sphères du pouvoir équato-guinéen, le crime paie. Pour l’instant.