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Meurtre à Besançon : Trois Trafiquants Rejugés en Appel

En 2020 à Besançon, Houcine Hakkar, simple mécanicien de 23 ans, tombait sous les balles destinées à un autre. Quatre ans plus tard, les trois tueurs présumés reviennent devant la justice en appel. Ce qui s’est vraiment passé cette nuit-là va-t-il enfin être élucidé ?

Il est un peu plus de minuit, dans la nuit du 18 au 19 octobre 2020, quand les habitants du quartier Planoise à Besançon entendent une rafale de kalachnikov déchirer le silence. Quelques secondes plus tard, un jeune homme de 23 ans s’effondre sur le bitume, touché par sept balles. Houcine Hakkar n’avait rien à voir avec le trafic de drogue. Il rentrait simplement du travail.

Une erreur fatale au cœur d’une guerre des stupéfiants

Ce drame n’est pas un fait divers isolé. Il est la conséquence directe d’une guerre sans merci entre deux clans qui se disputent le contrôle ultra-lucratif des points de deal dans la cité franc-comtoise. Depuis plusieurs mois déjà, les règlements de comptes se multiplient : voitures brûlées, tirs à l’arme automatique, expéditions punitives. Le climat est électrique.

Ce soir-là, un commando a reçu pour mission d’abattre un rival. Dans l’obscurité et la précipitation, les tueurs se trompent de cible. La voiture d’Houcine Hakkar ressemble à celle du trafiquant visé. Le guet-apens tourne au carnage collatéral. Un innocent paie de sa vie l’ultraviolence du narcobanditisme.

Qui sont les trois hommes rejugés à Dijon ?

Mohamed Mordjane, Melk Ghezali et Elias Basbad. Trois noms qui reviennent sans cesse dans les dossiers de la police judiciaire de Besançon depuis des années. Tous les trois évoluent dans le milieu du trafic de cannabis et de cocaïne à Planoise et dans les quartiers sensibles de la ville.

En première instance, en juin 2024, la cour d’assises du Doubs les avait reconnus coupables :

  • Elias Basbad, considéré comme le tireur principal, avait écopé de 20 ans de réclusion.
  • Mohamed Mordjane, soupçonné d’avoir participé à l’organisation du guet-apens, 18 ans.
  • Melk Ghezali, complice actif, 16 ans.

Mais le parquet général, estimant les peines trop clémentes au regard de la gravité des faits, a fait appel pour l’ensemble des condamnations. La défense a également interjeté appel. Résultat : les trois hommes retrouvent le box des accusés à partir de ce lundi 24 novembre 2025 à la cour d’appel de Dijon.

« C’est une nouvelle épreuve terrible pour la famille d’Houcine. Ils espéraient tourner la page, et tout est remis en cause. »

Un proche de la victime, anonyme

Planoise, laboratoire du narcobanditisme à la française

Pour comprendre comment une ville de province de 120 000 habitants en est arrivée là, il faut se pencher sur l’évolution fulgurante du quartier Planoise. Construit dans les années 60-70, ce grand ensemble de 20 000 habitants est devenu, en quelques années, l’un des points chauds du trafic de drogue dans l’Est de la France.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2023, la police y saisissait plus de 300 kg de cannabis et plusieurs dizaines de kilos de cocaïne. Les revenus générés par les réseaux sont estimés à plusieurs millions d’euros par an. De quoi attirer les convoitises et justifier le recours à des armes de guerre.

Les jeunes guetteurs, souvent mineurs, touchent 50 à 100 euros par vacation. Les « charbonneurs » (vendeurs) plusieurs milliers d’euros par mois. Les chefs de réseau, eux, vivent dans le luxe, roulent en grosses berlines allemandes et s’équipent comme des militaires.

La spirale de la violence : chronologie d’une escalade

Retour en arrière. Dès 2018, les premiers signes d’une guerre ouverte apparaissent :

  1. Janvier 2019 : un jeune de 17 ans grièvement blessé par balles.
  2. Juin 2019 : un règlement de comptes fait deux blessés graves.
  3. Novembre 2019 : une fusillade en plein après-midi devant un supermarché.
  4. Octobre 2020 : l’assassinat d’Houcine Hakkar, point d’orgue de la violence.
  5. 2021-2023 : une dizaine d’expéditions punitives, plusieurs morts et blessés.

Chaque camp accuse l’autre d’avoir déclenché les hostilités. En réalité, la concurrence pour le contrôle des « fours » (points de vente) est devenue impitoyable. Un gramme de cocaïne se vend 70 euros à Planoise, contre 80-100 euros dans les grandes métropoles. La marge est énorme.

Une erreur qui révèle l’amateurisme meurtrier

Ce qui rend le meurtre d’Houcine Hakkar particulièrement glaçant, c’est son caractère totalement gratuit. Les tueurs n’avaient aucun grief personnel contre lui. Ils se sont simplement trompés de véhicule. Une Peugeot 308 grise au lieu d’une autre.

Dans le dossier d’instruction, on découvre l’organisation sommaire du commando : des messages cryptés sur Telegram, des repérages bâclés, des armes prêtées par un quatrième individu jamais retrouvé. Tout repose sur la rapidité et la peur de l’autre camp.

Le tireur, selon les expertises balistiques, a vidé un chargeur entier de kalachnikov en moins de cinq secondes. Sept projectiles ont atteint Houcine, dont deux mortels à la tête et au thorax. L’intention homicide ne fait aucun doute.

Que peut-on attendre de ce procès en appel ?

Plusieurs enjeux se dessinent pour ces deux semaines d’audience à Dijon :

  • Le parquet général va-t-il obtenir des peines plus lourdes, proches de la réclusion à perpétuité ?
  • Les accusés vont-ils enfin reconnaître leur responsabilité pleine et entière ?
  • De nouveaux éléments sur l’organisation des réseaux vont-ils émerger ?
  • La famille d’Houcine obtiendra-t-elle enfin la vérité complète sur la mort de leur fils ?

Les avocats de la défense devraient insister sur le contexte de « guerre » et sur le fait que leurs clients n’avaient pas l’intention de tuer un innocent. Un argument déjà rejeté en première instance mais qui pourrait trouver un écho auprès de nouveaux jurés.

De son côté, l’avocat général devrait mettre en avant la préméditation, l’usage d’armes de guerre et le caractère particulièrement lâche de l’expédition punitive. Il pourrait requérir jusqu’à 30 ans de réclusion pour les principaux accusés.

Derrière le drame, une jeunesse sacrifiée

Houcine Hakkar incarnait tout ce que les trafiquants ne sont pas. Issu d’une famille modeste mais stable, il travaillait dur comme apprenti mécanicien. Il rêvait de fonder une famille, d’acheter une maison. Ses amis le décrivent comme calme, serviable, toujours prêt à rendre service.

Ses parents, dévastés, ont créé une association pour venir en aide aux victimes collatérales de la violence liée au trafic de drogue. Ils interviennent dans les collèges et lycées pour raconter l’histoire de leur fils et mettre en garde les jeunes contre l’argent facile.

« Mon fils est mort parce que des gens jouent à la guerre avec des vraies armes. Il n’avait rien demandé à personne. »

La mère d’Houcine Hakkar

Besançon, symptôme d’un mal national

Ce qui se passe à Planoise n’est malheureusement pas isolé. De Grenoble à Marseille, de Lille à Strasbourg, la France compte aujourd’hui plus de 300 quartiers où le trafic de stupéfiants génère une violence endémique. Les armes de type kalachnikov circulent à flux tendu depuis les Balkans.

En 2024, le ministère de l’Intérieur recensait plus de 400 règlements de comptes liés au narcobanditisme, faisant plusieurs dizaines de morts. Derrière les chiffres, ce sont des familles entières qui sont brisées, des quartiers entiers qui vivent sous la peur.

Le procès en appel qui s’ouvre à Dijon n’apportera pas de solution miracle. Mais il rappelle, une fois de plus, l’urgence d’une réponse globale : répression renforcée, désintoxication des quartiers, alternatives pour la jeunesse. Car tant que l’argent du trafic coulera à flots, d’autres Houcine Hakkar risquent de payer le prix fort.

L’audience est publique. Le verdict est attendu le 2 décembre 2025. D’ici là, une ville entière retient son souffle.

À retenir : Ce n’est pas seulement le procès de trois hommes. C’est celui d’un système qui sacrifie des innocents sur l’autel du profit criminel.

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