Imaginez-vous en pleine mer Noire, le soleil commence à décliner, et soudain deux colonnes de fumée noire s’élèvent à l’horizon. Deux navires, deux pétroliers, deux incendies presque simultanés. Ce n’est pas le scénario d’un film catastrophe, c’est ce qui s’est produit vendredi soir au large des côtes turques.
Aucun blessé, fort heureusement. Mais les questions, elles, brûlent autant que les coques des bateaux.
Une soirée qui bascule en quelques minutes
Vers 18 heures locales, le calme habituel de la navigation en mer Noire est brutalement rompu. Le pétrolier Kairos, un navire de 2002 battant pavillon gambien, signale un incendie majeur alors qu’il faisait route, à vide, vers le port russe de Novorossiïsk.
Selon les autorités maritimes turques, l’incendie a été déclenché par des « causes extérieures ». Le terme est précis, presque trop. Il écarte d’emblée l’hypothèse d’un accident technique banal.
À bord, les 25 membres d’équipage sont évacués sains et saufs. Mais le feu, lui, continue de ravager la partie avant du navire. Les images diffusées montrent des flammes impressionnantes et une fumée noire qui monte haut dans le ciel.
Le deuxième navire touché presque au même moment
À peine le temps de digérer la nouvelle que surgit une seconde alerte. Le pétrolier Virat, plus récent (construit en 2018), signale à son tour un problème grave, à environ 35 milles nautiques des côtes.
Le navire indique avoir été « touché ». Le mot est lâché. On parle d’un impact, suivi d’une épaisse fumée détectée dans la salle des machines. Là encore, l’équipage de 20 personnes est indemne, mais le bateau est hors de contrôle.
Les deux navires arborent le même pavillon gambien, une pratique courante pour les armateurs souhaitant des règles moins strictes. Les deux incidents se produisent dans un rayon relativement restreint, en quelques heures à peine.
Un contexte maritime particulièrement dangereux
Depuis février 2022 et le début du conflit en Ukraine, la mer Noire est devenue un champ de mines, au sens propre. Des centaines de mines marines, posées initialement pour protéger les côtes des deux belligérants, se sont détachées et dérivent au gré des courants et des tempêtes.
Ces engins explosifs flottants représentent une menace permanente. Plusieurs ont déjà été repérés et neutralisés près des côtes turques, bulgares et roumaines. Des navires marchands ont été endommagés par le passé.
En 2024, la Turquie, la Bulgarie et la Roumanie – trois pays de l’OTAN riverains – ont créé le groupe naval MCM Black Sea, dédié spécifiquement à la lutte contre ces mines vagabondes. Malgré ces efforts, le danger reste bien réel.
« Des équipes de secours et un cargo ont été dépêchés sur place »
Direction générale des affaires maritimes turque
Que sait-on précisément des deux navires ?
Le Kairos se trouvait à 28 milles nautiques des côtes, au large de Kefken, dans la province de Kocaeli. Il était vide de cargaison, ce qui limite le risque de marée noire, mais pas celui d’une explosion plus importante.
Le Virat, quant à lui, naviguait un peu plus au large. Les autorités turques restent très prudentes sur la nature exacte de l’impact qu’il a subi. On parle simplement d’une « épaisse fumée dans la salle des machines ».
Aucun des deux navires n’a coulé à l’heure où ces lignes sont écrites, mais les opérations de secours et de lutte contre l’incendie se poursuivent dans des conditions délicates.
Pourquoi ces incidents soulèvent tant d’interrogations
La simultanéité des deux sinistres, à quelques dizaines de milles l’un de l’autre, interpelle. Dans une zone aussi surveillée, deux pétroliers touchés le même soir, c’est exceptionnel.
Le terme « causes extérieures » employé pour le Kairos laisse peu de place au doute : on ne parle pas d’une fuite de carburant ou d’un court-circuit. On parle d’une intervention extérieure, volontaire ou non.
Dans le contexte géopolitique actuel, les hypothèses fusent. Mines dérivantes ? Attaque ciblée ? Simple et terrible malchance ? Les autorités turques, pour l’instant, gardent le silence sur l’origine exacte.
La mer Noire, une poudrière flottante
Ce qui est sûr, c’est que la mer Noire n’a jamais été aussi dangereuse pour la navigation commerciale. Les routes maritimes qui contournent les zones de combat sont devenues des couloirs à risque.
Les armateurs doivent composer avec des assurances qui explosent, des équipages réticents et des gouvernements qui multiplient les mises en garde.
Et pourtant, le trafic continue. Le pétrole russe doit bien trouver un chemin vers les marchés, même sous pavillon de complaisance.
Ce que cela nous dit de l’état du monde en 2025
Ces deux incendies, au-delà de leur aspect spectaculaire, rappellent une réalité brutale : un conflit localisé peut contaminer des espaces entiers, bien au-delà des champs de bataille.
La mer Noire, autrefois simple voie de passage, est devenue un théâtre d’opérations hybrides où les armes les plus anciennes – les mines marines – côtoient les menaces les plus modernes.
Et pendant ce temps, des marins ordinaires risquent leur vie pour transporter du pétrole dont le monde, malgré toutes ses promesses, continue d’avoir désespérément besoin.
Alors, accident ou nouvel épisode d’une guerre qui ne dit pas son nom ? L’enquête le dira. Mais une chose est certaine : en mer Noire, la paix est encore très loin d’avoir regagné les eaux.
À retenir :
- Deux pétroliers sous pavillon gambien en feu le même soir
- Aucune victime, équipages évacués
- Causes officielles : « extérieures » pour l’un, « impact » pour l’autre
- Contexte : présence confirmée de mines flottantes depuis 2022
- Zone sous surveillance renforcée de l’OTAN
La nuit tombe sur la mer Noire. Les flammes, elles, continuent de danser sur l’eau noire. Et quelque part, dans les états-majors comme dans les salles de marché, on retient son souffle.









