En cette mi-juillet, à quelques jours du coup d’envoi des Jeux Olympiques de Paris, un autre rendez-vous se prépare dans les campagnes du Poitou. Depuis des mois, le projet de construction de retenues d’eau géantes, surnommées « méga-bassines », destinées à l’irrigation agricole, soulève une vague de protestations. Bien décidés à profiter des projecteurs braqués sur la France en cette période, les opposants au projet intensifient leurs actions pour alerter l’opinion publique sur les enjeux de ce dossier explosif.
Le « Village de l’eau », épicentre de la contestation
Mardi, les anti-bassines ont donné le coup d’envoi d’une semaine de mobilisation en installant un campement baptisé le « Village de l’eau » à Melle dans les Deux-Sèvres. Jusqu’à dimanche, ce rassemblement qui devrait réunir plusieurs milliers de personnes sera le théâtre de débats, d’ateliers et d’actions pour sensibiliser le public aux impacts de ces retenues d’eau XXL.
Au programme notamment, une « grande marche populaire » vendredi à Saint-Sauvant dans la Vienne, où un chantier de méga-bassine doit démarrer en septembre. Samedi, les militants prévoient de prendre d’assaut le port de commerce de la Rochelle en paddle et kayak, pour dénoncer le rôle des « méga-coopératives » céréalières dans l’accaparement de la ressource en eau.
Une lutte qui divise le monde agricole
Pour les promoteurs de ces retenues d’eau, stockant jusqu’à plusieurs millions de m3 puisés dans les nappes en hiver, il s’agit d’une solution d’avenir pour sécuriser l’irrigation estivale des cultures face au dérèglement climatique. Mais les opposants dénoncent un projet « pharaonique » et une « aberration » écologique en période de sécheresse.
Ces bassines sont un accaparement de l’eau par l’agro-industrie !
Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines Non Merci
La perspective d’une nouvelle montée en puissance de la contestation inquiète le monde agricole. La FNSEA, premier syndicat agricole, redoute que « tout soit réuni pour que le pire arrive », et appelle au calme. À Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, épicentre des affrontements en mars dernier qui avaient fait des dizaines de blessés, la tension est palpable.
La crainte de nouveaux débordements
Le spectre des violences plane sur cette nouvelle séquence de mobilisation. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, en visite lundi à Niort, a averti qu’un millier de militants « radicaux » étaient attendus, dont certains venant de l’étranger. Plus d’une centaine se sont vu notifier une interdiction d’accès au territoire.
Mais du côté des organisateurs, on se veut rassurant et on promet une « ambiance de carnaval » pour ces journées placées sous le signe de la « désobéissance joyeuse ». L’objectif affiché est « d’arracher un moratoire » sur la construction des méga-bassines, en s’attaquant « concrètement » aux cibles du mouvement.
Un dossier au coeur des enjeux environnementaux
Au-delà des tensions sur le terrain, le dossier des méga-bassines cristallise les contradictions de notre modèle agricole et interroge sur le partage de l’eau, ressource de plus en plus convoitée. Face au défi du réchauffement climatique, faut-il s’adapter en stockant massivement l’eau pour l’irrigation, ou repenser en profondeur nos modes de production ?
Il faut sortir de cette fuite en avant et réfléchir à une transition agroécologique pour préserver durablement la ressource.
Delphine Batho, députée écologiste des Deux-Sèvres
Derrière ce conflit local, c’est aussi un choix de société qui est en jeu. Alors que la sécheresse historique de cet été a mis en lumière la vulnérabilité de nos territoires face au stress hydrique, le schéma des bassines apparaît pour certains comme un remède illusoire. Seule une remise en question de fond de notre rapport à l’eau et à la terre pourrait garantir un avenir viable pour nos campagnes.
Dans ce contexte, difficile de prédire l’issue de ce bras de fer qui se joue entre pro et anti-bassines. Une chose est sûre : en choisissant de frapper fort à quelques encablures des Jeux Olympiques, les opposants espèrent bien faire de leur lutte un enjeu incontournable du débat public. Reste à savoir si leur coup de projecteur suffira à infléchir ce projet contesté.