Imaginez-vous rentrer chez vous un soir de décembre, entendre le vent hurler comme jamais, puis vous réveiller le lendemain dans un paysage de guerre. C’est ce qu’ont vécu des dizaines de milliers de Mahorais il y a tout juste un an, lorsque le cyclone Chido a balayé l’archipel. Douze mois plus tard, les cicatrices sont encore béantes.
Un an après, le décor n’a presque pas changé
Dans le quartier résidentiel des Hauts-Vallons à Mamoudzou, là où les fonctionnaires aimaient poser leurs valises, des montagnes de gravats trônent toujours au pied des immeubles. Des planches, des bouts de tôle ondulée, des plaques de placo éventrées. Anli, assis sur sa chaise pliante devant son rez-de-chaussée, regarde les passants avec une résignation dans le regard.
Son immeuble, construit il y a seulement cinq ans, a perdu son toit et tout le dernier étage. Depuis, chaque pluie transforme son salon en piscine. « Rien n’a été fait », lâche-t-il simplement.
60 % du bâti endommagé ou détruit
Le chiffre donne le vertige. Selon les chiffres recueillis auprès des acteurs locaux du logement, plus de six bâtiments sur dix ont été touchés, parfois irrémédiablement. Les logements collectifs, eux, ont été frappés encore plus durement : les deux tiers présentent des dommages importants.
Certes, quelques collèges et lycées ont été rafistolés à la va-vite pendant l’été pour accueillir les élèves à la rentrée. Mais pour le reste – habitations, mairies, équipements publics – le temps semble s’être arrêté au 14 décembre 2024.
« Des milliers de ménages sinistrés restent privés de logement digne et décent alors que la nouvelle saison cyclonique a débuté. »
Fondation pour le logement à Mayotte
Une pénurie de matériaux qui paralyse tout
Pourquoi les chantiers avancent-ils au compte-gouttes ? La réponse tient en quelques mots : tout manque, et tout coûte plus cher.
La tôle, indispensable pour refermer les toitures, a vu son prix bondir de 40 % en un an. Un simple conteneur de matériaux met désormais quatre mois à arriver au port de Longoni, contre deux auparavant. Le dédouanement s’est transformé en parcours du combattant avec l’afflux de marchandises d’urgence.
Les entreprises locales, déjà fragiles, fonctionnent « en flux tendu ». Elles n’ont plus de trésorerie pour constituer des stocks. Résultat : un chantier qui pourrait avancer en quelques semaines s’étire sur des mois.
Explosion des coûts en quelques chiffres :
- Tôle ondulée : +40 %
- Délai d’approvisionnement : doublé (4 mois contre 2)
- Conteneurs en attente au port : record historique
Les collectivités à bout de souffle
En plein centre de Mamoudzou, l’hôtel de ville arbore encore fièrement… l’absence d’une partie de sa toiture. Des bureaux entiers sont condamnés, des câbles électriques pendent dangereusement.
À la communauté d’agglomération Dembéni-Mamoudzou, on travaille sous des bâches bleues depuis un an. « On est en télétravail forcé », confie un agent qui préfère garder l’anonymat. « Quand il pleut, l’électricité saute, les plafonds fuient. Rien n’a bougé. »
Le constat est partagé par l’ensemble des élus locaux : après avoir dépensé sans compter dans l’urgence immédiate, les caisses sont vides. Et l’année 2026 étant électorale, les projets lourds de reconstruction sont repoussés sine die.
Les assurances : l’attente infinie
Autre grande absente de cette reconstruction : l’argent des assurances. Des millions d’euros promis dorment encore dans les circuits administratifs.
Melie, serveuse au restaurant Le Camion blanc sur le front de mer, raconte qu’elle a réparé elle-même les fenêtres et la porte arrachées de sa maison à Doujani. « À chaque averse, les chambres sont inondées. Mes enfants paniquent au moindre coup de tonnerre. »
Comme elle, des milliers de familles bricolent, rafistolent, vivent dans l’angoisse permanente d’un nouveau cyclone. Car oui, la saison des pluies a repris, et avec elle les orages violents qui rappellent de mauvais souvenirs.
Un tissu économique en sursis
À Mayotte, le secteur public représente 70 % de l’économie. Quand les collectivités toussent, c’est tout l’archipel qui s’enrhume.
Les entreprises du bâtiment, déjà peu nombreuses, tournent au ralenti. Les commerçants voient leur chiffre d’affaires chuter quand les fonctionnaires, principaux clients, sont eux-mêmes sinistrés ou en attente d’indemnisation.
Le cercle vicieux est parfait : moins de rentrées fiscales pour les collectivités, moins de commandes publiques, moins de travail pour les entreprises, moins de pouvoir d’achat pour les habitants.
Et maintenant ?
Un an après Chido, Mayotte vit toujours dans l’après. Les bâches bleues sont devenues un élément du paysage, au même titre que les lagons ou les padzas.
Des efforts existent : 500 logements ont été remis en état, 600 chantiers sont en cours. Mais cela reste une goutte d’eau face à l’ampleur des dégâts. Et surtout, cela reste trop lent.
Alors que la nouvelle saison cyclonique est officiellement ouverte depuis le 1er novembre, la question n’est plus de savoir si un nouveau phénomène violent frappera, mais quand. Et surtout : l’archipel sera-t-il prêt cette fois ?
Pour l’instant, la réponse fait peur.
À Mayotte, on reconstruit plus lentement qu’on ne détruit. Et pendant ce temps, la nature, elle, ne prend jamais de pause.









