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Maurice Kamto Accuse l’État Camerounais d’Assassinat

Le leader de l’opposition camerounaise Maurice Kamto pointe du doigt un « authentique crime d’État » après la mort en détention d’Anicet Ekane. Le régime parle de maladie chronique, les chancelleries étrangères réclament la vérité. Que s’est-il réellement passé derrière les murs de la prison ?

Quand un opposant meurt derrière les barreaux, le silence devient assourdissant. Lundi soir, la nouvelle est tombée comme un couperet : Anicet Ekane, président du Manidem et figure historique de la gauche nationaliste camerounaise, s’est éteint à l’âge de 74 ans alors qu’il était détenu à Yaoundé. Très vite, les mots les plus graves ont fusé.

Un « crime d’État » selon Maurice Kamto

Dans une vidéo publiée sur ses réseaux sociaux mardi soir, Maurice Kamto n’a pas mâché ses mots. Le leader du MRC, principal adversaire du pouvoir en place, a directement accusé le régime : « Ils l’ont tué. Ils ont tué le président du Manidem. » Pour lui, les circonstances entourant cette mort ne laissent place à aucune ambiguïté.

Le ton est solennel, la voix tremblante de colère contenue. Maurice Kamto parle d’un « authentique crime d’État » et va plus loin encore : « Anicet Ekane a été assassiné par la haine de Maurice Kamto, l’exécration du MRC, la détestation d’Issa Tchiroma Bakary, le mépris de la démocratie et l’angoisse du changement. » Des mots qui résonnent comme un réquisitoire.

Qui était Anicet Ekane ?

À 74 ans, Anicet Ekane n’était pas un inconnu dans le paysage politique camerounais. Fondateur et président du Mouvement Africain pour la Nouvelle Indépendance et la Démocratie (Manidem), il incarnait une certaine idée de la gauche nationaliste, farouchement indépendante. Son parcours politique l’avait conduit à soutenir, lors de la dernière présidentielle, la candidature finalement rejetée de Maurice Kamto avant de rallier Issa Tchiroma Bakary.

Son arrestation, fin octobre, la veille même de la proclamation officielle des résultats du scrutin, avait déjà suscité l’inquiétude. Placé en détention dans le cadre d’une enquête menée par le Tribunal militaire, il était accusé de diverses « infractions graves » selon les termes du ministère de la Défense.

La version officielle : une mort « naturelle » ?

Face à la tempête, les autorités ont rapidement communiqué. Le ministère de la Défense assure qu’Anicet Ekane souffrait de « pathologies chroniques » et qu’il bénéficiait, en détention, des soins du corps médical militaire ainsi que de ses médecins personnels. Une version qui peine à convaincre dans le contexte camerounais où les morts suspectes en prison se sont multipliées ces dernières années.

Lundi, le même ministère a annoncé l’ouverture d’une enquête « pour déterminer avec précision les circonstances du décès ». Une procédure présentée comme une garantie de transparence… mais qui, pour beaucoup d’observateurs, ressemble surtout à une tentative d’étouffer l’affaire.

« Une enquête sera menée de manière approfondie et transparente »

Communiqué officiel des autorités camerounaises

Cette promesse laisse sceptique quand on connaît le bilan du Tribunal militaire en matière d’impartialité.

La communauté internationale sort du silence

Ce qui donne une toute autre dimension à l’affaire, c’est la réaction rapide et coordonnée de plusieurs chancelleries occidentales. Le Royaume-Uni, ancienne puissance coloniale d’une partie du territoire camerounais, s’est dit « attristé et préoccupé » par cette mort en détention. Londres a clairement « exhorté » Yaoundé à garantir une enquête « approfondie et transparente ».

Le Canada n’a pas été en reste. Ottawa juge les circonstances « préoccupantes » et affirme avoir transmis ses inquiétudes directement aux autorités camerounaises, tout en encourageant la tenue d’une enquête « indépendante, approfondie et transparente ».

L’Union européenne, enfin, a pris note de l’ouverture d’une enquête tout en réitérant son appel récurrent à la libération des personnes « détenues arbitrairement » depuis l’élection présidentielle. Un rappel à peine voilé que le dossier des prisonniers politiques reste brûlant à Bruxelles.

Un contexte politique explosif

Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut se replonger dans l’atmosphère qui règne au Cameroun depuis plusieurs mois. La dernière élection présidentielle a été marquée par des contestations massives, des candidatures rejetées, des manifestations réprimées et une vague d’arrestations dans les rangs de l’opposition.

Dans ce climat, la mort d’Anicet Ekane agit comme un détonateur. Elle ravive les souvenirs douloureux d’autres disparitions suspectes : journalistes, militants, avocats… La liste est longue et chaque nouveau cas renforce le sentiment d’une répression qui ne recule devant rien.

Maurice Kamto, en accusant nommément le pouvoir, prend un risque énorme. Mais il sait aussi qu’il parle au nom d’une large partie de la population qui n’ose plus s’exprimer publiquement. Sa vidéo, vue des centaines de milliers de fois en quelques heures, témoigne de l’émotion et de la colère qui traversent le pays.

Vers une nouvelle crise majeure ?

La question qui brûle toutes les lèvres désormais : cette affaire va-t-elle déclencher un nouveau cycle de contestation ? Le MRC a déjà appelé à des rassemblements pacifiques. Sur les réseaux sociaux, les hashtags se multiplient et les appels à la vérité résonnent jusqu’à la diaspora.

Dans les quartiers populaires de Yaoundé et Douala, on murmure que « trop, c’est trop ». Les plus jeunes, ceux qui n’ont connu que le même président depuis leur naissance, commencent à parler ouvertement de changement. Et quand la peur cède la place à la colère, plus rien n’est impossible.

En attendant, une chose est sûre : le décès d’Anicet Ekane ne sera pas un simple fait divers. Il est devenu le symbole d’un système qui, selon ses détracteurs, n’hésite plus à éliminer physiquement ceux qui le contestent. Et face à cela, même les diplomaties les plus prudentes sortent de leur réserve.

L’histoire nous dira si cette fois sera celle de trop. Mais une chose est déjà certaine : le Cameroun vit un moment de vérité. Et la vérité, comme toujours, a un prix.

À l’heure où ces lignes sont écrites, aucune autopsie indépendante n’a encore été autorisée. Les proches d’Anicet Ekane n’ont toujours pas pu voir le corps. Et l’enquête promise par les autorités reste, pour l’instant, lettre morte.

Dans ce pays où la parole est souvent muselée, le cri de Maurice Kamto résonne comme un appel. Un appel à la justice. Un appel à la mémoire. Un appel, peut-être, au sursaut.

Car derrière les communiqués lisses et les promesses d’enquête, il y a un homme de 74 ans qui ne rentrera plus jamais chez lui. Et une nation qui se regarde dans le miroir d’une possible barbarie d’État.

La suite dépendra de ce que les Camerounais, dans leur diversité, choisiront de faire de cette indignation. Rester silencieux ? Ou enfin briser les chaînes ?

L’histoire, une fois encore, est en marche.

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