Dans un coin reculé de la côte kényane, un frisson d’horreur parcourt à nouveau les habitants. À Binzaro, un petit village où la vie semble suspendue entre pauvreté et isolement, 34 corps ont été découverts dans un terrain vague, enfouis sous une fine couche de terre et de branchages. Ce drame, qui fait écho au massacre de Shakahola survenu deux ans plus tôt, ravive les blessures d’un pays encore marqué par l’une des pires tragédies de son histoire récente. Comment une secte, que l’on croyait disparue, a-t-elle pu frapper à nouveau ?
Un Nouveau Chapitre d’Horreur sur la Côte Kényane
Il y a deux ans, la forêt de Shakahola, une étendue sauvage de la côte kényane, devenait le théâtre d’une découverte macabre : les restes d’environ 450 victimes d’une secte religieuse dirigée par un pasteur autoproclamé. Ce dernier, un ancien chauffeur de taxi, avait convaincu ses fidèles de jeûner jusqu’à la mort pour « rencontrer Jésus » avant une supposée fin du monde. Aujourd’hui, à seulement 30 kilomètres de ce lieu maudit, Binzaro révèle une nouvelle vague de morts, confirmant que l’ombre de cette secte plane toujours.
Ce drame ne se limite pas à une série de crimes isolés. Il soulève des questions brûlantes sur la prolifération des groupes religieux extrémistes dans un pays où la foi chrétienne domine, mais où la régulation des petites églises évangéliques reste quasi inexistante. La côte kényane, souvent associée à ses plages paradisiaques, cache une réalité bien plus sombre, où la pauvreté et le désespoir deviennent le terreau fertile de ces mouvements destructeurs.
Binzaro : Un Village Sous le Choc
Binzaro, un hameau modeste de 140 foyers, est loin des projecteurs touristiques de Malindi. Ici, l’eau courante est un luxe absent, et la végétation sèche reflète la dureté de la vie quotidienne. Pourtant, c’est dans ce décor aride que la secte a choisi de frapper à nouveau. Selon un survivant qui s’est échappé en juillet, des fidèles, dont certains de ses propres enfants, ont péri dans des circonstances similaires à celles de Shakahola. Les fouilles menées par la police ont révélé 34 cadavres et 102 fragments de corps, dispersés dans des tombes individuelles à peine recouvertes.
« Il y a tellement, tellement de tombes », confie Victor Kaudo, militant des droits humains, la voix tremblante d’effroi.
Contrairement aux fosses communes de Shakahola, les sépultures de Binzaro étaient conçues pour passer inaperçues, ensevelies sous une fine couche de terre et de branchages. Cette méthode, plus discrète, n’a pas empêché les hyènes de déterrer les restes, laissant des ossements éparpillés dans la brousse. Les fouilles, interrompues en août faute de place dans les morgues locales, laissent craindre que d’autres corps restent à découvrir.
Une Secte qui Apprend de ses Erreurs
Si Shakahola a marqué les esprits par son ampleur, Binzaro montre une évolution inquiétante dans les méthodes de la secte. Selon un avocat impliqué dans l’affaire, qui préfère rester anonyme, les responsables du massacre de Binzaro ont tiré des leçons du premier drame. « Ils ont observé le procès de Shakahola et se sont adaptés », explique-t-il. Les tombes individuelles, moins visibles que les fosses communes, témoignent d’une volonté de masquer les preuves.
Onze personnes, dont d’anciens membres de la secte de Shakahola, ont été arrêtées. Parmi elles, Sharleen Temba Anido, soupçonnée d’être l’instigatrice de ce nouveau massacre. Selon les documents judiciaires, son mari serait mort en raison de ses propres « croyances religieuses extrêmes ». À la mi-septembre, Anido et trois coaccusés ont comparu devant un tribunal de Malindi, accusés de meurtre, radicalisation et crime organisé. Leur détention prolongée n’apaise pas les craintes des habitants, qui redoutent que la secte soit encore active.
Les fidèles étaient transportés de nuit, en petits groupes, vers Binzaro. « Ceux qui entraient ne ressortaient pas », raconte un officier de police.
Un Terreau de Pauvreté et de Désespoir
Pourquoi la région de la côte kényane attire-t-elle ces groupes extrémistes ? La réponse réside en partie dans ses conditions socio-économiques. Loin des hôtels de luxe et des plages de sable blanc, l’intérieur des terres est marqué par une pauvreté endémique. À Binzaro, comme dans d’autres villages, les habitants luttent pour survivre dans un environnement où les opportunités sont rares. Les sectes, promettant salut et espoir, trouvent un écho auprès des populations vulnérables.
Les terres inoccupées, souvent vendues à bas prix par des intermédiaires peu scrupuleux, offrent également un refuge idéal pour ces groupes. Les habitants locaux, interrogés, affirment n’avoir rien su des activités de la secte, installée en marge du village. Cette discrétion, combinée à l’isolement géographique, permet à ces mouvements de prospérer dans l’ombre.
Un Échec de la Régulation Religieuse
Le massacre de Shakahola avait poussé le gouvernement kényan à promettre une régulation plus stricte des églises évangéliques. Pourtant, deux ans plus tard, peu de mesures concrètes ont été mises en place. Victor Kaudo, le militant des droits humains, pointe du doigt l’inaction des politiciens, souvent réticents à s’aliéner une population majoritairement chrétienne. « Si nous réglementons l’Église, qui va voter pour nous ? » déplore-t-il, résumant le calcul électoraliste qui paralyse les réformes.
« Sans programme de déradicalisation, ce cycle de mort ne s’arrêtera pas », avertit Victor Kaudo.
Les enquêteurs soupçonnent l’existence d’un « grand réseau » de fidèles radicalisés, toujours en communication et prêts à agir. Cette menace persistante inquiète les autorités, qui peinent à démanteler ces structures clandestines. La prolifération des petites églises, souvent non enregistrées, complique encore davantage la tâche.
La Peur d’un « Shakahola Trois »
Pour les habitants de Binzaro, la peur est omniprésente. « Nous avions Shakahola Un, puis Shakahola Deux. Nous aurons Shakahola Trois », confie Simon, un résident de 32 ans, qui préfère taire son nom complet. Cette crainte est partagée par beaucoup, dans une région où la méfiance envers les autorités et les institutions grandit.
Les défis sont immenses. Outre la nécessité de poursuivre les enquêtes, le Kenya doit s’attaquer aux racines du problème : la pauvreté, l’absence de régulation et la manipulation des esprits vulnérables. Sans une action concertée, le pays risque de voir se répéter ces tragédies, qui laissent derrière elles des communautés brisées et des familles endeuillées.
Événement | Lieu | Nombre de victimes | Année |
---|---|---|---|
Massacre de Shakahola | Forêt de Shakahola | ~450 | 2023 |
Massacre de Binzaro | Binzaro | 34+102 fragments | 2025 |
Ce tableau illustre la récurrence de ces drames et leur proximité géographique, renforçant l’urgence d’une réponse globale. La côte kényane, malgré sa beauté, reste hantée par ces événements, qui rappellent la fragilité des équilibres sociaux dans des régions marquées par l’exclusion.
Vers une Solution Durable ?
Face à cette crise, plusieurs pistes d’action émergent. Voici les principales mesures envisagées pour prévenir de nouveaux drames :
- Régulation des églises : Mettre en place un cadre légal strict pour encadrer les activités des groupes religieux, en particulier les petites congrégations non enregistrées.
- Programmes de déradicalisation : Développer des initiatives pour identifier et soutenir les personnes vulnérables à la radicalisation.
- Lutte contre la pauvreté : Investir dans le développement économique des zones rurales pour réduire l’attrait des promesses sectaires.
- Renforcement des enquêtes : Améliorer les capacités des forces de l’ordre pour traquer les réseaux criminels déguisés en groupes religieux.
Ces mesures, bien que nécessaires, demandent une volonté politique forte et une coordination entre les différents acteurs. Sans cela, le risque d’un « Shakahola Trois » reste bien réel, et la côte kényane continuera de porter le poids de ces tragédies.
En attendant, les habitants de Binzaro vivent dans l’angoisse, scrutant l’horizon pour détecter les signes d’une nouvelle menace. La mémoire des victimes, qu’elles soient de Shakahola ou de Binzaro, appelle une réponse urgente, pour que la foi ne soit plus synonyme de mort dans ce coin du Kenya.