Imaginez un homme enfermé depuis plus de vingt-deux ans, condamné à cinq peines de prison à perpétuité, pourtant considéré par des millions de personnes comme le futur président capable de ramener la paix. Cet homme existe. Il s’appelle Marwan Barghouti et, ce mercredi, plus de deux cents personnalités du monde entier ont décidé de briser le silence.
Une lettre ouverte qui fait trembler les murs des prisons
Le texte est court, direct, implacable. Des stars du cinéma, de la littérature et de la musique, habituellement discrets sur les questions géopolitiques, ont uni leurs voix pour une seule exigence : la libération immédiate de Marwan Barghouti. Parmi les signataires, on retrouve des noms qui pèsent lourd dans la culture mondiale.
Annie Ernaux, fraîchement couronnée du prix Nobel de littérature, figure en tête de liste. À ses côtés, l’acteur espagnol Javier Bardem, le musicien britannique Sting, ou encore les acteurs Josh O’Connor et Benedict Cumberbatch. La réalisatrice française Justine Triet, récente Palme d’or, a également apposé sa signature, tout comme les écrivaines Sally Rooney et Margaret Atwood.
Des anciens footballeurs légendaires comme Éric Cantona et Gary Lineker complètent ce casting inattendu. Même le groupe irlandais Fontaines D.C., figure montante du rock, s’est engagé. Tous partagent la même inquiétude : les conditions de détention de Marwan Barghouti se dégradent dangereusement.
Qui est vraiment Marwan Barghouti ?
À 66 ans, Marwan Barghouti reste l’une des figures les plus populaires en Palestine. Membre historique du Fatah, il a toujours défendu l’idée d’une solution politique à deux États. Ses partisans le comparent souvent à Nelson Mandela : un leader capable de parler à tous les camps, même après des années de prison.
Entré en politique très jeune, il a gravi tous les échelons du mouvement national palestinien. Député, secrétaire général du Fatah en Cisjordanie, il s’est notamment illustré par sa lutte acharnée contre la corruption. Des sondages récents le créditent encore de scores écrasants s’il était candidat à la présidence face à Mahmoud Abbas.
Mais pour Israël, l’image est radicalement différente. En 2004, un tribunal israélien le condamne pour son implication présumée dans plusieurs attentats durant la seconde Intifada. Cinq peines de prison à vie. Une sentence qui, vingt ans plus tard, reste un sujet de profondes divisions.
Des conditions de détention qui révoltent
La lettre des célébrités ne se contente pas de demander une libération. Elle dénonce explicitement les mauvais traitements subis par le prisonnier. En octobre dernier, son fils affirmait qu’il avait été violemment battu lors d’un transfert entre prisons.
Pire, en août, le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, avait diffusé une vidéo où on le voyait réprimander personnellement Marwan Barghouti dans sa cellule. Sur les images, le leader palestinien apparaissait particulièrement affaibli. Un épisode qui avait choqué jusqu’au sein même de certains cercles israéliens.
« Nous exprimons notre vive inquiétude face à la détention continue de Marwan Barghouti, à ses mauvais traitements et au déni de ses droits légaux en prison »
Extrait de la lettre ouverte signée par plus de 200 personnalités
Cette phrase résume l’esprit du texte : au-delà du symbole politique, c’est aussi une question élémentaire de dignité humaine qui est posée.
La campagne « Free Marwan » prend de l’ampleur
Derrière cette mobilisation se trouve une initiative lancée par la famille de Marwan Barghouti baptisée « Free Marwan ». Objectif : faire de son cas un enjeu international. Et le timing n’est pas anodin.
Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 et la guerre qui a suivi à Gaza, plusieurs échanges de prisonniers ont eu lieu. À chaque fois, le nom de Barghouti est revenu sur la table… et à chaque fois, Israël a refusé de l’inclure dans les listes. Pour beaucoup d’observateurs, sa libération reste l’un des verrous les plus solides du conflit.
En le maintenant derrière les barreaux, Israël prive potentiellement la Palestine d’un leader modéré, capable de parler aux deux peuples. C’est en tout cas la thèse défendue par de nombreux signataires de la lettre, dont beaucoup se sont déjà prononcés pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza.
Pourquoi maintenant ?
Le choix du moment n’est pas innocent. Mahmoud Abbas, actuel président de l’Autorité palestinienne, est âgé de 89 ans et n’a pas désigné de successeur clair. Dans tous les scénarios de transition, le nom de Marwan Barghouti revient inlassablement.
Des études d’opinion réalisées ces derniers mois montrent qu’il reste, de très loin, l’homme politique palestinien le plus populaire. Même emprisonné, même sans accès aux médias, même sans campagne électorale. Un paradoxe qui en dit long sur l’aura dont il jouit.
Pour ses soutiens, libérer Barghouti reviendrait à redonner une chance à la solution à deux États. Pour ses détracteurs, ce serait récompenser un homme condamné pour terrorisme. Deux visions irréconciliables qui résument, à elles seules, l’impasse actuelle.
Un écho planétaire inattendu
Ce qui frappe dans cette lettre, c’est la diversité des signataires. On y trouve des artistes engagés de longue date, comme Roger Waters ou Ken Loach dans des initiatives passées, mais aussi des personnalités beaucoup plus discrètes sur le sujet.
Le fait que Justine Triet, tout juste sacrée à Cannes, ou que Josh O’Connor, star de la série The Crown, prennent publiquement position montre que le sujet dépasse largement les cercles militants habituels. Même des figures du sport, comme Cantona, connu pour ses prises de position tranchées, ont décidé de franchir le pas.
Cette mobilisation massive rappelle d’autres grandes campagnes internationales : celle pour la libération de Nelson Mandela dans les années 80, ou plus récemment celle pour Aung San Suu Kyi. Des précédents historiques qui pèsent lourd dans les consciences.
Et après ?
La lettre appelle explicitement les Nations Unies et les gouvernements du monde entier à agir. Reste à savoir si cette pression internationale portera ses fruits. Pour l’instant, la réponse israélienne reste ferme : Marwan Barghouti n’est pas un prisonnier politique, mais un condamné pour meurtre.
Pourtant, l’histoire a déjà montré que les lignes peuvent bouger. En 2011, lors du plus grand échange de prisonniers entre Israël et le Hamas, plus de mille Palestiniens avaient été libérés contre le soldat Gilad Shalit. Beaucoup pensaient Barghouti inclus dans l’accord… il n’en fut rien.
Aujourd’hui, alors que la guerre à Gaza a déjà fait des dizaines de milliers de victimes et que la région semble au bord du chaos, certains y voient une opportunité historique. Libérer Barghouti pourrait-il devenir la clé d’une désescalade ? C’est en tout cas le pari que font ces deux cents personnalités.
Une chose est sûre : tant qu’il restera derrière les barreaux, Marwan Barghouti continuera de hanter le débat politique. Plus qu’un prisonnier, il est devenu un symbole. Et les symboles, parfois, finissent par faire bouger les montagnes.
Dans une région où l’espoir semble s’éteindre jour après jour, des voix du monde entier se lèvent pour rappeler qu’une autre voie est possible. Reste à savoir si quelqu’un, quelque part, sera prêt à écouter.
La mobilisation ne fait que commencer.









