Depuis plusieurs semaines, la Martinique est secouée par un mouvement de protestation d’une ampleur inédite. Au cœur des revendications : le coût de la vie jugé exorbitant par une large part de la population de ce département français des Caraïbes. Face à la multiplication des violences urbaines, la préfecture a décidé de prolonger le couvre-feu partiel en vigueur jusqu’à jeudi matin. Retour sur une crise qui révèle les profondes fractures sociales et économiques de l’île aux fleurs.
Le quartier de Sainte-Thérèse, épicentre des tensions
Depuis le début du mouvement contre la vie chère début septembre, le quartier populaire de Sainte-Thérèse, situé à Fort-de-France, cristallise les tensions. Barricades enflammées, tirs à balles réelles contre les forces de l’ordre, saccages : chaque nuit ou presque, le secteur s’embrase, obligeant les autorités à décréter un couvre-feu de 21h30 à 5h du matin. Une mesure reconduite jusqu’à jeudi, et étendue à d’autres zones sensibles du chef-lieu martiniquais ainsi qu’à la commune voisine du Lamentin.
Des renforts policiers dépêchés de métropole
Pour tenter de ramener le calme, des renforts de police ont été dépêchés de métropole, dont la 8ème Compagnie Républicaine de Sécurité (CRS 8), une unité spécialisée dans les violences urbaines. Des blindés sont également mobilisés pour sécuriser les points chauds.
À la demande du préfet de Martinique, un important dispositif de sécurité a été déployé ce week-end
Communiqué de la préfecture de Martinique, 23 septembre 2024
Carburants rationnés et explosifs interdits à la vente
Outre le couvre-feu, le représentant de l’État a pris une série de mesures pour tenter de reprendre la main :
- Interdiction de vente d’essence aux particuliers
- Prohibition de l’achat et de la vente de produits explosifs ou inflammables
- Proscription des manifestations non déclarées dans plusieurs communes
Des arrêtés qui courent jusqu’au 30 septembre et visent à tarir les sources d’approvisionnement des émeutiers, qui érigent des barricades enflammées sur les principaux axes routiers de l’île.
La vie chère, détonateur d’une crise sociale profonde
Mais au-delà du rétablissement de l’ordre public, c’est bien à la racine du mal qu’il faudra s’attaquer pour espérer une sortie de crise durable. Car derrière la colère qui s’exprime, souvent avec violence, c’est un profond sentiment d’injustice et d’abandon qui transparaît.
On ne peut plus vivre décemment avec ce qu’on gagne. Tout est trop cher ici, c’est invivable !
Une manifestante martiniquaise
Avec un coût de la vie 30 à 40 % plus élevé qu’en métropole, un taux de chômage frôlant les 30 %, un emploi précaire et des salaires faibles, le cri de colère des Martiniquais est avant tout celui d’une population qui se sent délaissée, voire méprisée, par l’État français. La récente crise du chlordécone, ce pesticide hautement cancérigène abusivement utilisé dans les bananeraies, a laissé de profondes cicatrices et instillé un climat de défiance.
Des élus locaux appellent à des réponses structurelles
Pour les élus locaux, la réponse sécuritaire ne suffira pas à ramener une paix durable. Ils demandent au gouvernement des mesures concrètes pour réduire les inégalités et favoriser le développement économique et social du territoire.
Il est urgent de s’attaquer aux racines de ce mal-être en apportant des solutions structurelles aux problèmes que connaît la Martinique depuis des décennies
Serge Letchimy, Président du Conseil exécutif de Martinique
Parmi les pistes évoquées :
- Instauration d’un revenu minimum supérieur de 20 % au SMIC national
- Réforme de l’octroi de mer pour faire baisser les prix
- Plan massif de création d’emplois, notamment pour les jeunes
- Revalorisation des salaires des fonctionnaires “ultramarins”
Autant de mesures que l’exécutif devra étudier avec attention s’il veut éviter que la situation ne dégénère davantage et apporter des réponses pérennes au mal-être qui ronge la société martiniquaise. La prolongation du couvre-feu et le déploiement des forces de l’ordre ne sont qu’un pis-aller qui ne sauraient suffire à enrayer durablement cette crise protéiforme.
La Martinique, comme d’autres territoires ultramarins, aspire aujourd’hui à un véritable changement de paradigme dans ses relations avec l’Hexagone. Pour que le vivre-ensemble ne soit plus une chimère mais une réalité partagée. Un défi majeur pour le gouvernement et plus largement pour la Nation toute entière, appelée à repenser son modèle.