Il est un peu plus de vingt heures, ce mercredi 26 novembre 2025. La pluie fine tombe sur Marseille comme un rideau de larmes. Près de la gare Saint-Charles, là où des milliers de voyageurs débarquent chaque jour, un bruit sec déchire la nuit. Plusieurs détonations. Puis plus rien. Un jeune homme s’effondre sur le trottoir, touché par au moins quatre projectiles. Le temps que les secours arrivent, il est déjà trop tard.
Un exécution en pleine ville
Les premiers éléments recueillis sur place ne laissent guère de place au doute : il s’agit d’une exécution. Les impacts relevés sur le corps – thorax, dos, bras, fesses – montrent que le tireur (ou les tireurs) n’a pas laissé la moindre chance à la victime. Un mode opératoire devenu tristement banal dans certaines affaires marseillaises.
La victime ? Un jeune majeur, selon les termes employés par les enquêteurs. Un individu « défavorablement connu » des services de police. Autrement dit, son nom figurait déjà dans plusieurs dossiers, souvent liés au trafic de stupéfiants ou à des faits de violence. À ce stade, personne n’avance officiellement de piste, mais dans le milieu, beaucoup pensent déjà au traditionnel règlement de comptes.
Marseille, ville sous perfusion de violence
Cette nouvelle fusillade s’inscrit dans une longue série. Depuis le début de l’année 2025, la cité phocéenne a déjà enregistré plusieurs dizaines d’homicides par arme à feu. Un chiffre qui place Marseille parmi les villes les plus touchées d’Europe pour ce type de criminalité.
Le narcobanditisme reste le moteur principal de cette spirale mortelle. Des réseaux qui se battent pour le contrôle de points de deal, des dettes non honorées, des trahisons supposées : chaque prétexte est bon pour sortir l’arme et régler le différend à la kalachnikov ou au pistolet automatique.
Ce qui frappe, c’est la banalisation progressive de ces scènes de guerre dans l’espace public. Hier les quartiers nord, aujourd’hui le centre-ville, à deux pas d’un lieu aussi fréquenté que la gare Saint-Charles. La frontière entre « zones de non-droit » et cœur de ville s’efface peu à peu.
Un mode opératoire qui ne pardonne pas
Quatre balles, réparties sur différentes parties du corps. Ce n’est pas un simple avertissement. C’est une sentence. Les tueurs à gages, souvent très jeunes eux-mêmes, sont payés pour faire le travail proprement : pas de survivant, pas de témoin gênant.
Dans ce genre d’affaires, les armes utilisées proviennent presque toujours du même circuit : des Balkans, via l’Italie ou l’Espagne. Des pistolets Glock, des revolvers 38, parfois des fusils d’assaut. Le tout circule à flux tendu dans les cités, revendu à prix d’or ou prêté pour une mission.
« On est sur des équipes très mobiles, souvent à scooter, qui arrivent, tirent et repartent en quelques secondes », expliquait récemment un policier spécialisé.
Ce schéma, on le retrouve dans la majorité des règlements de comptes récents. Rapide, efficace, terrifiant.
Les habitants entre peur et résignation
Pour les Marseillais, ces faits divers ne sont plus vraiment des nouvelles. On soupire, on commente deux minutes sur les réseaux sociaux, puis on passe à autre chose. Pourtant, la peur est là, tapie.
Près de Saint-Charles, les commerçants ont l’habitude de fermer tôt. Les voyageurs pressent le pas en sortant de la gare. Personne n’a envie de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Et quand une fusillade éclate en plein centre, le sentiment d’insécurité grimpe d’un cran supplémentaire.
Certains habitants évoquent même, à demi-mot, l’idée de milices privées ou de vigilance citoyenne. Une tentation dangereuse, qui montre à quel point la confiance dans les institutions s’effrite.
Une guerre qui ne connaît pas de trêve
Depuis plus de quinze ans, Marseille vit au rythme de ces guerres de territoire. Les clans se succèdent, les alliances se font et se défont, mais le résultat reste le même : des jeunes hommes tombés sous les balles, souvent avant même d’avoir atteint trente ans.
Les forces de l’ordre, malgré des moyens renforcés et des opérations coup de poing régulières, peinent à endiguer le phénomène. Saisies records de drogue, interpellations en série, démantèlement de réseaux : tout cela ne suffit pas à couper l’herbe sous le pied des trafiquants les plus déterminés.
Car derrière chaque point de deal se trouve une économie souterraine colossale. Des millions d’euros brassés chaque année, qui irriguent une partie de l’économie locale, parfois même au-delà des quartiers concernés.
Et demain ?
Au moment où ces lignes sont écrites, l’enquête est confiée à la police judiciaire. Les caméras de vidéosurveillance vont être exploitées, les témoins éventuels entendus, le téléphone de la victime passé au peigne fin. Peut-être que l’on remontera jusqu’aux commanditaires.
Mais dans six mois, dans un an, un autre jeune homme tombera probablement au même endroit ou à quelques rues de là. Parce que tant que l’argent coulera à flots et que les armes circuleront aussi facilement, la mécanique infernale continuera de tourner.
Marseille, ville lumineuse et vibrante, porte en elle cette blessure béante. Une blessure que l’on pansement à grand renfort de communiqués et de promesses, mais que l’on ne parvient toujours pas à refermer.
En attendant, près de la gare Saint-Charles, les traces de sang ont été nettoyées. Les trains continuent d’arriver et de repartir. Et la vie, malgré tout, reprend son cours. Jusqu’à la prochaine fois.
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La rédaction continuera de suivre cette affaire et vous tiendra informés des éventuels développements.









