Il est un peu avant neuf heures du matin quand l’appel tombe chez les pompiers. Un corps en feu, quelque part dans le secteur des Arnavaux, ce coin discret des quartiers nord de Marseille où les entrepôts désaffectés côtoient les cités sensibles. Ce que les secours découvrent sur place glace le sang : un homme entièrement calciné, disposé avec une précision presque théâtrale au pied d’un mur tagué d’une immense fresque représentant des dragons cracheurs de feu et un château sombre.
Une mise en scène qui ne laisse aucun doute
Dans le milieu du crime organisé marseillais, on appelle ça le « barbecue ». Une méthode aussi barbare que symbolique : brûler vif ou presque sa victime pour effacer les preuves tout en adressant un message clair aux rivaux. Voir le corps ainsi exposé, comme une offrande macabre devant une fresque évoquant le feu et la forteresse, dépasse la simple exécution. C’est une signature.
Les premières constatations laissent peu de place au doute. L’homme a probablement été tué ailleurs, puis transporté et incendié sur place. Le choix du lieu n’est pas anodin : les Arnavaux, zone tampon entre plusieurs territoires sensibles, terrain neutre parfait pour faire passer un avertissement sans déclencher immédiatement une riposte sur le terrain adverse.
Le « barbecue », une pratique importée des cartels
Ce mode opératoire n’est pas nouveau. Il nous vient tout droit des narcos mexicains et colombiens qui, dès les années 2000, l’ont popularisé pour terroriser leurs ennemis. À Marseille, il a fait son apparition il y a une dizaine d’années et revient régulièrement depuis 2015. Chaque fois, le message est le même : trahison, dette impayée, territoire empiété.
Les corps calcinés se comptent désormais par dizaines dans la région. Certains dans le coffre de voitures incendiées sur l’autoroute A50, d’autres abandonnés dans les calanques, et maintenant celui-ci, posé comme un trophée devant un mur de béton orné de dragons. L’escalade dans la mise en scène est évidente.
« Quand ils passent au barbecue avec mise en scène, c’est qu’ils veulent que tout le monde comprenne immédiatement qui est derrière et pourquoi »
Un policier de la PJ marseillaise, sous couvert d’anonymat
Les Arnavaux, un no man’s land parfait pour les messages mortels
Le quartier des Arnavaux n’est pas choisi au hasard. Situé entre la cité phocéenne et Saint-Antoine, à deux pas de l’A55, c’est une zone industrielle à l’abandon où les caméras de vidéosurveillance sont rares et les témoins encore plus. Le matin, quelques travailleurs passent, mais à l’aube, le coin est désert.
La fresque elle-même intrigue les enquêteurs. Réalisée il y a plusieurs années par des artistes locaux, elle représente un château assiégé par des dragons cracheurs de flammes. Une coïncidence ? Peu probable quand on connaît la symbolique du feu dans ce genre d’exécution. Certains y voient même une référence directe au clan adverse, parfois surnommé « les Dragons » dans les écoutes policières.
Une guerre des clans qui ne s’éteint jamais
Depuis 2016 et l’explosion du trafic de stupéfiants dans les cités marseillaises, la ville détient le triste record français du nombre de règlements de comptes. Plus de 300 morts en moins de dix ans, souvent des jeunes de moins de 30 ans. La majorité liés au narcobanditisme.
Les clans DZ et Yoda, héritiers de la ancienne Brise de Mer corse, se disputent toujours les points de deal les plus lucratifs des quartiers nord. Chaque mort appelle une vengeance, chaque vengeance un nouveau mort. Le corps des Arnavaux s’inscrit probablement dans cette spirale sans fin.
Ce qui change, c’est la théâtralisation. On ne tue plus simplement pour éliminer. On tue pour marquer les esprits, pour faire le buzz sur Snapchat, pour que les vidéos tournent dans les cités et que la peur change de camp.
Que sait-on de la victime ?
Pour l’instant, presque rien. L’état du corps rend l’identification extrêmement difficile. Seuls les dents et éventuellement l’ADN pourront parler. L’homme portait des vêtements de sport de marque, type survêtement, ce qui correspond au profil classique des soldats ou guetteurs des réseaux.
Âgé probablement entre 20 et 35 ans, il pourrait être un de ces milliers de jeunes recrutés comme « chouffeurs », « charbonneurs » ou petites mains du trafic. Des rôles où la moindre erreur – un go-fast raté, une livraison détournée, un mot de trop – peut valoir la mort la plus cruelle.
Marseille, ville sous perfusion de violence
Ce énième corps calciné intervient alors que la ville tente, une nouvelle fois, de se relever. Opérations « place nette », renforts de CRS, annonces tonitruantes du ministre de l’Intérieur… Rien n’y fait. La drogue coule toujours à flots et les kalachnikovs parlent plus fort que les discours.
Les habitants des quartiers nord, eux, ont fini par intégrer cette violence comme un bruit de fond. On baisse les yeux, on ferme les volets, on évite de parler. La loi du silence règne plus que jamais.
Et pendant ce temps, les enfants grandissent au milieu des douilles et des odeurs d’essence brûlée. Une génération entière qui voit dans le trafic le seul ascenseur social possible. Un cercle vicieux dont personne ne semble capable de sortir.
Vers une nouvelle vague de représailles ?
Dans les heures qui viennent, les enquêteurs de la police judiciaire vont éplucher les écoutes, analyser les caméras privées, interroger les rares témoins. Mais tout le monde sait déjà que ce corps n’est qu’un épisode de plus.
D’ici quelques jours, une voiture brûlera probablement dans une autre cité. Puis une fusillade éclatera à la sortie d’un collège. Et le compteur macabre continuera de tourner.
Car à Marseille, quand un dragon crache son feu sur un château peint, ce n’est jamais la fin de l’histoire. C’est juste le début du prochain chapitre.
(Article mis à jour le 28 novembre 2025 – L’enquête se poursuit)









