Chaque année, au Maroc, des milliers de chiens errants sillonnent les rues, souvent perçus comme une menace ou une nuisance. Mais à l’approche de la Coupe du monde 2030, co-organisée par le royaume, une question brûlante divise : faut-il les protéger ou les éliminer ? Alors que des associations dénoncent des abattages massifs, le gouvernement mise sur une méthode innovante pour gérer cette population tout en apaisant les critiques internationales.
Un Défi Humanitaire et Sanitaire
Le Maroc fait face à un défi complexe : gérer une population estimée à environ trois millions de chiens errants, tout en répondant aux attentes internationales avant un événement mondial. Ces animaux, souvent livrés à eux-mêmes, sont au cœur d’un débat où se croisent santé publique, protection animale et image internationale. Avec 100 000 morsures recensées chaque année et 33 cas mortels de rage en 2024, la question n’est pas seulement éthique, mais aussi sanitaire.
Pour répondre à ces enjeux, le royaume a adopté depuis 2019 une approche appelée TNVR (Trap, Neuter, Vaccinate, Return). Cette méthode consiste à capturer les chiens, les stériliser, les vacciner contre la rage, puis les relâcher dans leur environnement avec une boucle à l’oreille pour les identifier. Une stratégie qui, selon les autorités, protège à la fois les animaux et les citoyens.
TNVR : Une Solution Prometteuse
La méthode TNVR est au cœur de la stratégie marocaine pour contrôler la population canine sans recourir à l’abattage. En stérilisant les chiens, elle limite leur reproduction, tandis que la vaccination réduit les risques de propagation de maladies comme la rage. Les chiens relâchés, marqués d’une boucle, restent dans leur territoire d’origine, où ils jouent un rôle inattendu : repousser les chiens non vaccinés, potentiellement porteurs de maladies.
Ils sont des policiers contre la rage. En cas d’intrusion d’un chien enragé, ils le repoussent et protègent les citoyens.
Salima Kadaoui, fondatrice du projet Hayat
À Tanger, Salima Kadaoui, une Marocaine de 52 ans, incarne cet engagement. À travers son projet Hayat (« vie » en arabe), elle a traité plus de 4 600 chiens depuis 2016. Son travail illustre le potentiel de la TNVR, mais aussi les défis : pour elle, laisser les chiens stérilisés dans leur environnement est essentiel, car ils contribuent à la sécurité sanitaire des quartiers.
Des Accusations qui Font Tache
Malgré ces efforts, des voix s’élèvent à l’international. Des associations de protection animale accusent le Maroc de pratiquer des abattages massifs, estimant que des centaines de milliers de chiens seraient tués chaque année. Ces accusations se sont amplifiées avec l’annonce de la Coupe du monde 2030, certains craignant une « épuration » pour soigner l’image du pays.
Des figures publiques, comme le chanteur français David Hallyday, ont dénoncé des « massacres cruels », tandis que la Fondation Brigitte Bardot a appelé à disqualifier le Maroc comme hôte du Mondial. Ces critiques, relayées par des vidéos montrant des chiens empoisonnés ou abattus, alimentent une polémique que le gouvernement rejette fermement.
Le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, a qualifié ces accusations d’attaques médiatiques basées sur des données « erronées et décontextualisées ».
Une Législation en Cours
Face à la controverse, le Maroc tente de renforcer son cadre légal. Un projet de loi, adopté par le gouvernement en juillet 2025, est en cours d’examen au Parlement. Il prévoit des sanctions sévères pour les actes de cruauté envers les animaux errants, avec des amendes pouvant atteindre 1 900 euros et des peines de prison de deux à six mois.
Cette initiative vise à rassurer les défenseurs des animaux, mais aussi à uniformiser les pratiques à travers le pays. Car, malgré les directives encourageant la TNVR, des abattages persistent dans certaines localités, souvent par empoisonnement à la strychnine ou au fusil. Ces pratiques, parfois ordonnées par des autorités locales soucieuses de l’image de leur ville, contredisent les engagements nationaux.
Le Rôle de l’Éducation
Pour Salima Kadaoui, la clé réside dans l’éducation. Selon elle, 95 % des morsures pourraient être évitées par une meilleure sensibilisation. Elle insiste sur des gestes simples : ne pas crier, ne pas courir face à un chien errant, et déconstruit des croyances dangereuses, comme celle selon laquelle cracher sur une blessure préviendrait la rage.
Des campagnes éducatives pourraient transformer la perception des chiens errants, souvent vus comme une menace. En parallèle, le gouvernement a investi plus de 22 millions d’euros dans la construction de dispensaires vétérinaires pour appliquer la TNVR à grande échelle. À Al Arjat, près de Rabat, 500 chiens ont été traités en 2025, dont 220 relâchés.
Un Enjeu d’Image Internationale
À l’approche de la Coupe du monde 2030, le Maroc sait que son image est en jeu. Les accusations d’abattages massifs, relayées à l’international, risquent de ternir l’événement. Pourtant, les efforts pour promouvoir la TNVR et légiférer montrent une volonté de changement. Mais la mise en œuvre reste inégale, et les pratiques locales divergent souvent des directives nationales.
Pour beaucoup, comme Mohammed, un gardien de Tanger, le sort des chiens errants est personnel. Il se souvient encore de la chienne stérilisée empoisonnée sous ses yeux. Ce genre de témoignage rappelle l’urgence d’une application cohérente des mesures promises.
Mesure | Objectif | Impact |
---|---|---|
TNVR | Contrôler la population canine | Réduction des naissances et des risques de rage |
Législation | Sanctionner la cruauté | Amendes et peines de prison |
Éducation | Prévenir les morsures | 95 % des morsures évitables |
Vers un Avenir Plus Humain ?
Le Maroc se trouve à un tournant. La pression internationale, les attentes de la Coupe du monde et les enjeux sanitaires imposent une réforme profonde. La méthode TNVR, combinée à une législation renforcée et à une éducation accrue, pourrait transformer la gestion des chiens errants. Mais pour réussir, il faudra harmoniser les pratiques locales et nationales, et surmonter les résistances culturelles.
En attendant, des initiatives comme celle de Salima Kadaoui montrent qu’un autre avenir est possible. Ses 4 600 chiens traités à Tanger sont une goutte d’eau face aux trois millions estimés, mais ils incarnent un espoir. Reste à savoir si le Maroc saura relever ce défi avant 2030.