Imaginez une ville où les plages ensoleillées côtoient des immeubles éventrés, où le bruit des bétonneuses se mêle à celui des véhicules militaires. À Marioupol, dans l’est de l’Ukraine, la Russie orchestre une reconstruction massive, transformant une cité dévastée par la guerre en une vitrine de son influence. Mais derrière les façades neuves et les promesses d’un avenir radieux, que se cache-t-il vraiment ? Cet article plonge au cœur de cette métamorphose controversée, entre propagande, occupation et espoirs fragiles des habitants.
Marioupol : Une Ville sous le Signe de l’Occupation
En mai 2022, après un siège brutal ayant coûté la vie à des milliers de civils, la Russie s’empare de Marioupol. Cette ville portuaire, autrefois peuplée de plus de 540 000 habitants, est devenue un symbole de la guerre en Ukraine. Selon les autorités ukrainiennes en exil, le siège a fait environ 22 000 morts parmi les civils et détruit ou endommagé 90 % des bâtiments résidentiels. La Russie, elle, célèbre la « libération » de cette cité russophone, un discours repris par certains habitants restés sur place.
Sur les plages de la mer d’Azov, des familles profitent du soleil, tentant d’oublier les cicatrices de la guerre. Pourtant, les traces du conflit sont partout : immeubles en ruines, usines à l’arrêt, et une présence militaire omniprésente. La Russie mise sur la reconstruction pour effacer ces stigmates et promouvoir une image de prospérité. Mais à quel coût pour la population locale ?
Une Reconstruction à Marche Forcée
Depuis 2022, les autorités russes ont lancé un vaste chantier à Marioupol. Des immeubles flambant neufs émergent, souvent construits par des entreprises russes, tandis que des camions de matériaux sillonnent la ville. Selon un haut responsable russe, la reconstruction devait être achevée en trois ans, un objectif ambitieux pour une ville aussi dévastée. Mais pour les autorités ukrainiennes en exil, ce projet n’est qu’une façade.
« Cette reconstruction est un projet de propagande à grande échelle, destiné à effacer la mémoire des destructions et à montrer que les Russes apportent le développement. »
Denis Kotchoubeï, maire adjoint ukrainien en exil
Les nouvelles constructions, souvent des barres d’immeubles, sont attribuées gratuitement à certains habitants, comme Galina, une retraitée de 67 ans. Après avoir fui les combats, elle a reçu un appartement en 2024. « On m’a donné les clés, j’ai commandé les meubles », raconte-t-elle, reconnaissante mais marquée par les épreuves. Ces gestes, bien que bénéfiques pour certains, s’inscrivent dans une stratégie plus large de contrôle de la population.
Une Russification à Outrance
À Marioupol, le rouble a remplacé la hryvnia ukrainienne, les plaques d’immatriculation sont russes, et les indicatifs téléphoniques suivent le modèle de Moscou. Plus de 3,5 millions de passeports russes ont été distribués dans les territoires ukrainiens sous contrôle russe, une pratique dénoncée par Kiev comme une violation de sa souveraineté. Pour les habitants, accepter un passeport russe facilite l’accès aux aides sociales et évite l’expropriation.
Un décret signé par le président russe en mars 2025 oblige les Ukrainiens des territoires occupés à « régulariser leur statut » d’ici septembre 2025, c’est-à-dire à prendre la nationalité russe ou à être considérés comme étrangers. Cette mesure renforce la mainmise de Moscou sur la ville, où les voix dissidentes sont rares. Les habitants critiques, comme Tetiana, qui a fui après la mort de son père, préfèrent rester silencieux ou quitter la ville par peur des représailles.
Dans les rues de Marioupol, les drapeaux russes flottent, et les portraits de soldats tombés pendant le siège sont érigés en « héros ». Mais pour beaucoup, cette russification est synonyme de contrôle et de surveillance.
Azovstal : Symbole d’un Passé Glorieux et Douloureux
L’aciérie Azovstal, emblème de Marioupol depuis l’ère soviétique, reste un symbole fort. Pendant le siège, elle fut le dernier bastion de la résistance ukrainienne, ses défenseurs étant célébrés comme des héros à Kiev. Aujourd’hui à l’arrêt, sa carcasse rouillée contraste avec les immeubles neufs érigés à proximité. Pour beaucoup d’Ukrainiens, Azovstal incarne la résilience face à l’occupation, tandis que pour Moscou, c’est une page à tourner.
La Russie cherche à redessiner l’identité de la ville. Un musée dédié à Andreï Jdanov, figure stalinienne controversée, a été inauguré sur décret présidentiel. Ce lieu, qui remplace un musée du folklore local, glorifie un passé soviétique tout en effaçant l’héritage ukrainien. Le directeur du musée, Pavel Ignatiev, défend Jdanov, niant son rôle dans les répressions staliniennes, malgré les preuves historiques.
Un Rêve de Station Balnéaire ?
Moscou ambitionne de transformer Marioupol en une destination touristique, une sorte de « Sotchi du Donbass ». Des projets évoquent un « paradis écologique » ou un « parc post-industriel » pour attirer les visiteurs sur les rives de la mer d’Azov. Pourtant, la réalité est loin de cette vision idyllique. Les coupures d’eau et d’électricité sont fréquentes, et de nombreuses maisons portent encore les stigmates des combats, avec des inscriptions comme « enfants » ou « cadavres » sur les portes.
Sergueï, un habitant de 52 ans, vit dans une maison à moitié détruite. « Les tirs étaient incessants », se souvient-il. Malgré ses démarches auprès des autorités locales pour obtenir de l’aide, il n’a reçu aucune réponse claire. Comme lui, beaucoup se sentent laissés pour compte, tandis que des soupçons de corruption entourent les fonds alloués à la reconstruction.
Un Boom Immobilier sous Contrôle
Le marché immobilier à Marioupol connaît une flambée. Selon une responsable d’une agence russe, le prix au mètre carré est passé de 790 euros en 2022 à plus de 2 100 euros aujourd’hui, dopé par des prêts à taux préférentiels de 2 % offerts aux Russes souhaitant s’installer. Des habitants de Russie, attirés par le climat doux et la proximité de la mer, achètent des logements, voyant en Marioupol un investissement prometteur.
Pourtant, cette dynamique profite peu aux locaux. Les autorités russes dressent des listes d’appartements « sans propriétaire », redistribués à ceux dont les logements ont été détruits. Cette pratique, dénoncée par la municipalité ukrainienne en exil, vise à encourager l’installation de Russes dans la ville, renforçant la russification.
Aspect | Réalité à Marioupol |
---|---|
Reconstruction | Nouveaux immeubles, mais soupçons de corruption |
Nationalité | 3,5 millions de passeports russes distribués |
Tourisme | Projets ambitieux, mais infrastructures défaillantes |
Surveillance et Silence
À Marioupol, la liberté d’expression est limitée. Les habitants critiques du pouvoir russe risquent l’emprisonnement pour « collaboration » avec l’Ukraine ou pour des propos jugés « discréditants » envers l’armée. Une anecdote révélatrice : un habitant, après avoir parlé à des journalistes, a été abordé par un inconnu l’avertissant de se méfier des étrangers. « Je n’ai rien dit d’incriminant », a-t-il insisté, trahissant la peur omniprésente.
Ce climat de surveillance étouffe les voix dissidentes. Beaucoup de ceux qui s’opposent à l’occupation ont fui, comme Tetiana, qui refuse de retourner à Marioupol par crainte pour sa sécurité. Pour ceux qui restent, s’adapter au nouveau régime est souvent une question de survie.
Quel Avenir pour Marioupol ?
Marioupol se trouve à la croisée des chemins. D’un côté, la Russie investit massivement pour en faire une vitrine de son projet impérial, avec des immeubles modernes et des ambitions touristiques. De l’autre, les habitants vivent dans l’ombre de la guerre, entre souvenirs douloureux et incertitudes. La reconstruction, bien que visible, ne peut effacer les traumatismes ni les questions sur la légitimité de l’occupation.
Pour certains, comme Elena, venue de Russie pour investir, Marioupol représente une opportunité. Pour d’autres, comme Sergueï, c’est un lieu de désillusion, où les promesses de renouveau peinent à se concrétiser. Une chose est sûre : la transformation de Marioupol est loin d’être achevée, et son avenir reste suspendu entre propagande et réalité.
Marioupol : une ville reconstruite, mais à quel prix pour son identité et ses habitants ?