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Mariage Homosexuel au Japon : Vers un Verdict Historique ?

Pour la première fois, une cour d’appel japonaise a jugé constitutionnel le refus du mariage homosexuel. Choqués, des couples de tout le pays portent l’affaire devant la Cour suprême. Le Japon va-t-il enfin rejoindre Taïwan et la Thaïlande ? La décision qui pourrait tout changer approche…

Imaginez élever trois enfants avec la personne que vous aimez depuis vingt ans et, le jour où l’un d’eux est hospitalisé, ne pas pouvoir entrer tous les deux dans la chambre. Cette réalité, Haru Ono et des milliers d’autres couples de même sexe la vivent quotidiennement au Japon, seul pays du G7 à ne toujours pas reconnaître leurs unions.

Un revers inattendu qui secoue le pays

Le 25 novembre dernier, la cour d’appel de Tokyo a créé la surprise. Contrairement à cinq autres cours d’appel qui avaient précédemment jugé l’absence de mariage homosexuel inconstitutionnelle, elle a estimé que la législation actuelle ne violait pas la Constitution japonaise. Un véritable choc pour la communauté LGBT+ et ses soutiens.

Dès le lendemain, plusieurs couples ont annoncé leur intention de porter l’affaire jusqu’à la Cour suprême. Mercredi, des plaignants venus de Hokkaido jusqu’à Kumamoto se sont réunis devant le palais de justice de Tokyo pour remettre officiellement leur requête. Leur message est clair : ils demandent à la plus haute juridiction du pays de trancher définitivement et de déclarer cette discrimination contraire aux droits fondamentaux.

Des visages et des histoires derrière la bataille juridique

Shinya Yamagata, l’un des plaignants, n’a pas caché son émotion face aux journalistes : « Je suis vraiment choqué. Je n’aurais jamais imaginé que la justice nous discriminerait et blesserait nos cœurs aussi profondément. »

« Ce que nous réclamons, c’est simplement le droit ordinaire de nous marier. »

Haru Ono, plaignante et mère de trois enfants élevés avec sa partenaire depuis vingt ans

Pour Haru Ono, les obstacles du quotidien sont nombreux : visites médicales limitées, démarches administratives compliquées, absence de droits successoraux automatiques… Autant de situations où l’absence de reconnaissance légale pèse lourdement.

Un paysage judiciaire contrasté

Depuis 2019, plus d’une dizaine de couples ont attaqué l’État japonais en justice, réclamant des dommages et intérêts pour le préjudice subi. Sur les six décisions rendues en appel jusqu’à présent :

  • Cinq cours ont jugé l’absence de mariage homosexuel inconstitutionnelle ou « dans un état d’inconstitutionnalité »
  • Une seule, celle de Tokyo, a estimé que la situation actuelle respectait la Constitution

Cette divergence crée une situation juridique inédite et renforce l’urgence d’un arrêt de principe de la Cour suprême.

Que dit exactement la Constitution japonaise ?

L’article 24 de la Constitution de 1947 stipule que « le mariage ne peut être conclu que par le consentement mutuel des deux sexes ». Pour les conservateurs, cette formulation implique nécessairement un homme et une femme. Pour les défenseurs des droits, elle signifie simplement que le mariage repose sur le consentement libre de deux personnes – quel que soit leur genre.

L’article 14, lui, garantit que « tous les citoyens sont égaux devant la loi » et interdit toute discrimination. C’est sur ce fondement que repose l’essentiel des recours.

Le Japon, exception parmi les grandes puissances

Au sein du G7, le Japon fait figure d’exception flagrante. Tous les autres membres reconnaissent le mariage entre personnes de même sexe depuis plusieurs années. En Asie, Taïwan (depuis 2019), la Thaïlande et le Népal ont déjà franchi le pas.

Le Japon reste ainsi le seul pays du G7 à ne proposer aucune forme d’union civile ou de mariage aux couples homosexuels au niveau national.

Une société qui évolue plus vite que ses institutions

Paradoxalement, la société japonaise semble prête. Les sondages récents montrent qu’une majorité – parfois les deux tiers – des Japonais soutiennent la légalisation du mariage pour tous. De nombreuses grandes entreprises offrent déjà les mêmes avantages familiaux à leurs salariés LGBT+ qu’aux couples hétérosexuels.

Plusieurs centaines de municipalités, dont Tokyo, Osaka et Sapporo, délivrent des « certificats de partenariat » qui facilitent certaines démarches (logement, santé, héritage partiel). Mais ces certificats n’ont aucune valeur juridique nationale et varient d’une ville à l’autre.

Un gouvernement conservateur freine des quatre fers

Le Parti libéral-démocrate (PLD), au pouvoir presque sans interruption depuis 1955, reste farouchement attaché aux « valeurs familiales traditionnelles ». La nouvelle Première ministre, Sanae Takaichi, s’est publiquement opposée à la réforme du mariage.

Cette position crée un décalage croissant avec l’opinion publique et expose le Japon à des critiques internationales, notamment sur ses engagements en matière de droits humains.

Qu’attendre de la Cour suprême ?

La plus haute juridiction japonaise est traditionnellement prudente et rarement progressiste sur les questions de société. Elle n’a invalidé une loi pour inconstitutionnalité qu’à onze reprises depuis 1947.

Cependant, la multiplication des jugements contradictoires en appel et la pression sociétale pourraient l’inciter à trancher clairement. Plusieurs experts estiment qu’un arrêt déclarant l’absence de mariage homosexuel inconstitutionnelle obligerait le Parlement à légiférer rapidement.

Un combat qui dépasse les frontières

Ce bras de fer judiciaire est suivi de près dans toute l’Asie. Une victoire au Japon aurait un effet domino considérable dans la région, où les avancées restent rares malgré des progrès notables à Taïwan et en Thaïlande.

Pour les couples plaignants, l’enjeu est simple : pouvoir enfin dire « je le veux » avec les mêmes droits et la même dignité que tous les autres citoyens. Leur détermination est intacte, et l’espoir, plus vif que jamais, que la Cour suprême rende enfin justice à des milliers de familles invisibles aux yeux de la loi.

L’histoire est en marche. Et cette fois, elle pourrait s’écrire à Tokyo.

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