Imaginez une mère de 80 ans qui traverse l’Atlantique avec, dans son sac, un rosaire usé par des milliers de prières. Chaque jour, elle le serre un peu plus fort en murmurant le même vœu : revoir sa fille. Cette fille, c’est Maria Corina Machado, lauréate du prix Nobel de la paix 2025, actuellement cachée quelque part au Venezuela.
Un espoir fragile à l’aéroport d’Oslo
Lundi matin, à la sortie du terminal d’Oslo-Gardermoen, une octogénaire aux cheveux blancs impeccables s’arrête devant les journalistes. Corina Parisca de Machado porte un manteau bleu marine et un sourire tremblant. Elle n’a pas vu sa fille depuis douze mois exactement.
« Tous les jours, je prie le rosaire, je demande à Dieu le Père, à la Vierge, aux deux ensemble, pour que nous ayons Maria Corina demain », confie-t-elle, la voix brisée par l’émotion. Puis, presque dans un souffle : « Et si nous ne l’avons pas demain, c’est que telle est la volonté de Dieu. »
Je ne l’aurais jamais imaginé. J’avais entendu qu’on l’avait proposée, j’ai pensé : “Caramba ! Ce serait merveilleux, mais tellement difficile”… Et puis ça s’est produit.
Elle raconte comment l’une de ses filles est venue la réveiller à sept heures du matin – chose qu’on ne fait jamais impunément avec elle – pour lui annoncer la nouvelle. Pour la première fois de sa vie, elle n’a pas râlé.
Une lauréate devenue fugitive dans son propre pays
Maria Corina Machado, 58 ans, a été empêchée de se présenter à l’élection présidentielle de juillet 2024. Depuis août, elle vit dans la clandestinité. Le régime de Nicolás Maduro, au pouvoir depuis 2013, la considère comme une menace majeure.
Le mois dernier, le procureur général vénézuélien, Tarek William Saab, a été clair : si elle quitte le pays pour recevoir son Nobel, elle sera officiellement considérée comme fugitive. Les chefs d’accusation ? Conspiration, incitation à la haine, terrorisme.
Pourtant, le 10 octobre dernier, le comité Nobel norvégien a choisi de récompenser ses « efforts non violents pour une transition démocratique » au Venezuela. Un choix qui a fait l’effet d’un tremblement de terre à Caracas.
Mercredi : le jour décisif
La cérémonie officielle aura lieu mercredi dans la grande salle de l’Hôtel de ville d’Oslo, sous les fresques majestueuses et les lustres de cristal. Le directeur de l’Institut Nobel, Kristian Berg Harpviken, a affirmé samedi que Maria Corina Machado devrait recevoir sa récompense en personne.
Mais à l’heure où ces lignes sont écrites, personne ne sait si elle est déjà en Norvège. Les mesures de sécurité autour de l’événement sont dignes d’un sommet de chefs d’État. Des snipers sur les toits, des contrôles d’identité renforcés, des itinéraires tenus secrets.
Mardi après-midi, une conférence de presse est prévue à 13 heures à l’Institut Nobel. Si la chaise reste vide, le monde entier comprendra que le régime vénézuélien a gagné une bataille symbolique majeure.
Des invités qui en disent long sur le contexte géopolitique
Parmi les personnalités attendues à Oslo figure le président argentin Javier Milei, connu pour ses positions ultra-libérales et son admiration affichée pour Donald Trump – des idées que partage largement Maria Corina Machado. Sa présence n’est pas anodine : elle montre que le combat de l’opposante vénézuélienne dépasse les frontières de son pays.
D’autres dirigeants latino-américains ont également confirmé leur venue, transformant la cérémonie en un véritable sommet informel de l’opposition au chavisme.
Le prix Nobel, arme à double tranchant
Recevoir le Nobel de la paix alors qu’on est traqué dans son propre pays, c’est à la fois une consécration et un danger accru. L’histoire regorge d’exemples : Liu Xiaobo en 2010, mort en prison sept ans après son prix ; Aung San Suu Kyi, assignée à résidence pendant quinze ans malgré sa médaille.
Pour Maria Corina Machado, venir à Oslo signifierait probablement ne plus pouvoir rentrer au Venezuela sans risquer l’arrestation immédiate. Rester cachée, ce serait offrir au régime une victoire d’image : la lauréate absente, la chaise vide, le message implicite que la dictature est plus forte que la reconnaissance internationale.
Entre ces deux options, une mère prie. Et le monde retient son souffle.
Un rosaire contre un régime
Dans l’avion qui l’amenait en Europe, Corina Parisca de Machado n’a pas dormi. Elle a égrené son rosaire, mystère après mystère, demandant un miracle. Ce miracle a un visage : celui de sa fille, souriante sur l’estrade d’Oslo, libre, vivante, enfin en sécurité.
Mercredi, nous saurons si les prières d’une mère peuvent parfois déplacer des montagnes… ou du moins faire tomber un régime.
Peu importe l’issue, une chose est sûre : Maria Corina Machado a déjà gagné. Elle a fait entrer le combat du peuple vénézuélien dans la lumière la plus crue qui soit – celle du Nobel.
Et parfois, la lumière, même aveuglante, finit par faire plier ceux qui préfèrent l’ombre.









