En ces temps troublés où les replis identitaires gangrènent notre cohésion, la panthéonisation de Marc Bloch résonne comme un phare dans la nuit. Cet hommage à l’illustre historien et résistant nous rappelle avec force le rôle crucial de l’histoire dans la construction d’un socle commun, seul rempart face à la fragmentation de nos sociétés.
Marc Bloch incarnait une double exigence : la rigueur scientifique et la fonction civique de l’histoire. Cofondateur de l’École des Annales, il a révolutionné l’approche historique en soulignant l’importance d’étudier les sociétés dans leur globalité et sur le temps long. Mais au-delà de la méthode, Bloch voyait en l’histoire un outil indispensable pour comprendre le présent et guider l’action collective.
L’Histoire comme boussole face aux extrêmes
Aujourd’hui plus que jamais, alors que les extrémismes identitaires prospèrent sur les failles de notre récit national, les enseignements de Marc Bloch résonnent avec une acuité particulière. D’un côté, certains n’hésitent pas à réécrire l’histoire au mépris des faits, tel Éric Zemmour propageant des contre-vérités sur le régime de Vichy. De l’autre, une ignorance assumée du passé autorise tous les amalgames, à l’image d’un député insoumis déclarant sans ciller ne pas savoir qui était Pétain.
Ces deux postures, falsification et désintérêt, reflètent un même danger : le mépris de la vérité historique qui ouvre la voie à l’instrumentalisation idéologique. Face à ces dérives, l’œuvre de Marc Bloch nous rappelle que l’histoire n’est pas un récit figé, mais un questionnement permanent qui nous apprend à penser contre nous-mêmes, en confrontant des points de vue divers et parfois contradictoires.
L’histoire pour faire société
Mais cette approche critique ne doit pas faire oublier le rôle fédérateur de l’histoire. Bloch croyait profondément en la capacité d’un récit partagé à consolider le lien social par-delà les différences. Être citoyen, c’est s’inscrire dans une trajectoire collective qui dépasse nos appartenances singulières. Un récit républicain devrait fonctionner comme un cadre inclusif permettant à chacun de questionner les avancées, les reculs et les valeurs qui ont façonné notre société.
Reconnaître les zones d’ombre de notre passé, c’est réaffirmer notre volonté de préserver et d’enrichir notre modèle démocratique.
Redonner vie à l’histoire
Pourtant, alors même que l’histoire n’a jamais été aussi nécessaire, son enseignement décline. Moins de la moitié des jeunes français connaissent la date de la Révolution ! Un désintérêt lourd de menaces, comme le soulignait déjà Bloch en 1940 dans l’Étrange Défaite.
Rien n’est plus dangereux qu’une société qui n’interroge plus les fondements de ses valeurs.
Pour redonner vie à l’histoire, il est urgent de repenser son enseignement en renouant avec « l’histoire-problème » chère à Bloch. Loin d’une litanie de dates, l’histoire doit être un espace vivant de réflexion critique et partagée, où chaque citoyen apprend à dépasser ses déterminismes. C’est en se confrontant à l’altérité du passé que l’on forge une identité ouverte à la pluralité du présent.
Un phare pour notre temps
En faisant entrer Marc Bloch au Panthéon, la France honore un grand serviteur de la République. Mais au-delà de l’hommage, cet événement doit être un électrochoc pour réinvestir l’histoire comme colonne vertébrale de notre pacte républicain. À l’heure où les fractures identitaires déchirent notre tissu social, les héritiers intellectuels de Marc Bloch sont ceux qui s’emploient à retisser du commun par le récit.
Osons une histoire engagée, rigoureuse et accessible, pour éclairer le chemin d’une société en quête de sens.
C’est ce combat lumineux que la panthéonisation de Marc Bloch nous invite à poursuivre. En des temps obscurs, l’histoire reste ce phare intransigeant qui nous montre le cap à tenir pour construire un avenir partagé. Continuons d’en entretenir la flamme.