Ce samedi 15 juin, les rassemblements contre le Rassemblement national n’ont attiré que 250 000 personnes dans toute la France, selon les autorités. Un chiffre étonnamment faible au vu de la proximité du parti de Marine Le Pen avec le pouvoir. Pourtant, ce paradoxe apparent s’explique, selon le politologue Vincent Tournier.
Un contexte bien différent de 2002
Pour le maître de conférences en sciences politiques à l’IEP de Grenoble, la situation actuelle est à des lieues de celle de 2002, quand Jean-Marie Le Pen avait accédé au second tour de la présidentielle :
L’effet de sidération du 21 avril 2002 a été considérable. Les manifestations contre Jean-Marie Le Pen se sont déroulées durant l’entre-deux tours, à un moment où l’issue du scrutin pouvait paraître incertaine.
– Vincent Tournier
À l’époque, une véritable « Grande peur » avait saisi le pays, sur fond d’antifascisme et de parallèles hasardeux avec l’élection d’Hitler. Rien de tel aujourd’hui, explique Vincent Tournier :
Aujourd’hui, l’effet de surprise a complètement disparu puisque la poussée du RN aux élections européennes a été parfaitement anticipée et intégrée.
– Vincent Tournier
Une menace perçue comme moins intense
Si la mobilisation est moindre qu’en 2002 malgré la force du RN, c’est aussi parce que le parti est vu comme moins menaçant qu’autrefois :
La menace que représente le RN est moins intense qu’autrefois. Le message selon lequel il incarne le mal absolu a du mal à convaincre, surtout après les évolutions qu’a connues le parti ces dernières années.
– Vincent Tournier
Sous l’impulsion de Marine Le Pen, le Rassemblement national a en effet cherché à lisser son image et à se dédiaboliser, avec un certain succès. Dans ce contexte, diaboliser le parti apparaît moins crédible aux yeux de nombreux Français.
Un rapport de force qui a évolué
Enfin, le politologue pointe une évolution notable du rapport de force politique :
Le RN ne fait plus figure d’exception dans le paysage politique. Il est devenu un parti d’opposition comme un autre, certes situé aux extrêmes, mais qui s’inscrit dans le jeu démocratique normal.
– Vincent Tournier
Cette normalisation progressive rend plus difficile la mobilisation sur le thème de l’exceptionnalité et du danger pour la démocratie. Le Rassemblement national apparaît désormais comme un acteur parmi d’autres sur l’échiquier politique.
Vers une nouvelle forme d’opposition au RN ?
Cette analyse ne signifie pas pour autant que l’opposition au Rassemblement national doive cesser, nuance Vincent Tournier. Mais elle devra sans doute changer de forme :
Il faut réinventer les modalités de la lutte contre l’extrême droite, en se concentrant davantage sur la déconstruction de son programme que sur sa diabolisation.
– Vincent Tournier
Un défi de taille pour les opposants au RN, qui devront faire preuve de pédagogie et de créativité pour convaincre, dans un contexte politique profondément transformé. La bataille des idées ne fait sans doute que commencer.