Au cœur du Sahel, un vent de suspicion souffle sur le Mali. Ces derniers jours, une série d’arrestations massives au sein de l’armée a secoué le pays, révélant des tensions profondes dans un contexte déjà marqué par l’instabilité. Des militaires, dont des figures de haut rang, sont accusés de vouloir déstabiliser la junte au pouvoir. Que se passe-t-il réellement dans ce pays en proie à des crises multiples ?
Une Vague d’Arrestations Inédite
Depuis plusieurs jours, le Mali est le théâtre d’une opération sécuritaire d’envergure. Pas moins de 55 militaires, parmi lesquels deux généraux, ont été interpellés selon des sources proches des forces de sécurité et des familles des concernés. Ces arrestations, qui se sont intensifiées dans la nuit de dimanche à lundi, viseraient à contrer une tentative de déstabilisation des institutions. Une source au sein de l’armée a confirmé que ces mesures étaient nécessaires pour protéger l’État contre un complot présumé.
Le Conseil National de Transition (CNT), organe législatif instauré par la junte, a précisé que les individus arrêtés sont exclusivement des militaires. Leur objectif ? Rien de moins que renverser le régime en place, dirigé par le président Assimi Goïta. Cette annonce, bien que succincte, soulève des questions sur les fractures internes au sein de l’appareil militaire malien.
La Garde Nationale au Cœur du Cyclone
Les interpellations se concentrent principalement sur la garde nationale, un corps clé de l’armée malienne. Ce dernier est particulièrement associé au ministre de la Défense, le général Sadio Camara, l’une des figures centrales de la junte. Plusieurs observateurs ont noté que certaines des personnes arrêtées sont des proches de ce dernier, bien qu’il n’ait pas été personnellement visé à ce jour.
Parmi les figures arrêtées, le général Abass Dembélé se distingue. Ancien gouverneur de la région de Mopti, ce haut gradé respecté a été appréhendé à Kati, près de Bamako. « Des militaires sont venus tôt dimanche pour l’arrêter, sans donner d’explications », a témoigné un proche. Une autre figure notable, la générale Nema Sagara, l’une des rares femmes à occuper un poste de haut rang dans l’armée de l’air, figure également parmi les interpellés.
« Il y a des arrestations liées à une tentative de déstabilisation des institutions », a déclaré une source sécuritaire, soulignant l’urgence de la situation.
Un Silence Assourdissant de la Junte
Face à cette vague d’arrestations, la junte reste muette. Aucun communiqué officiel n’a été publié pour clarifier la situation, laissant place à des spéculations. S’agit-il d’une opération préventive ou d’une réponse à un complot avancé ? Un diplomate africain basé à Bamako évoque une situation « complexe » marquée par une loi de l’omerta. Ce silence alimente l’incertitude dans un pays où la méfiance envers les autorités est déjà palpable.
Pour certains observateurs, ce mutisme pourrait refléter des divisions internes au sein même de la junte. La situation est d’autant plus délicate que des civils pourraient bientôt être interrogés, selon une source sécuritaire, ce qui élargirait l’ampleur de l’enquête.
Un Contexte de Crises Multiples
Depuis 2012, le Mali traverse une crise sécuritaire majeure, alimentée par les violences des groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique. À cela s’ajoutent les exactions de groupes criminels communautaires et une crise économique persistante. Dans ce climat, la junte, arrivée au pouvoir après deux coups d’État en 2020 et 2021, a opéré un virage stratégique en se rapprochant de la Russie et en s’éloignant des partenaires occidentaux, notamment la France.
Ce choix, porté par un discours souverainiste, s’accompagne de la présence des mercenaires russes d’Africa Corps, chargés de lutter contre les jihadistes. Cependant, ces forces sont régulièrement accusées de violations des droits humains, notamment contre les civils, ce qui alimente les tensions dans le pays.
« Cette histoire est la preuve que les militaires ont du mal à maîtriser la situation. Dans les rangs de l’armée, il y a une grogne. »
Oumar Maïga, sociologue malien
Les Enjeux d’une Armée Fragmentée
Les récentes arrestations mettent en lumière des divisions au sein de l’armée malienne. La grogne évoquée par le sociologue Oumar Maïga semble refléter un malaise plus large. Les militaires, confrontés à des défis sécuritaires colossaux, pourraient être frustrés par les orientations de la junte, notamment son alliance controversée avec la Russie et les restrictions croissantes des libertés.
La garde nationale, en particulier, semble être un foyer de tensions. Corps d’élite, elle joue un rôle clé dans la sécurité du régime, mais sa proximité avec des figures comme Sadio Camara pourrait également en faire une cible pour des luttes de pouvoir internes.
Vers une Escalade des Tensions ?
Alors que les arrestations se multiplient, l’absence de communication officielle nourrit l’inquiétude. Le Mali, déjà fragilisé par des années de conflits, pourrait-il basculer dans une nouvelle phase d’instabilité ? La junte, en cherchant à consolider son pouvoir, risque-t-elle de creuser davantage le fossé avec une partie de son armée ?
Pour l’heure, les regards se tournent vers Bamako, où chaque développement est scruté avec attention. Les prochains jours pourraient révéler si ces arrestations marquent un simple coup de filet ou le prélude à une crise plus profonde.
- 55 militaires arrêtés, dont deux généraux, pour tentative de déstabilisation.
- La garde nationale, proche du ministre Sadio Camara, est particulièrement visée.
- Un silence officiel de la junte alimente les spéculations.
- Le Mali, en crise depuis 2012, fait face à des violences jihadistes et une instabilité politique.
Un Avenir Incertain
Le Mali se trouve à un carrefour critique. Entre les défis sécuritaires, les tensions internes à l’armée et un contexte économique difficile, la junte doit naviguer avec prudence. Les arrestations récentes, bien que présentées comme une mesure de protection de l’État, pourraient paradoxalement fragiliser davantage le régime.
Pour les Maliens, la situation est un rappel des défis persistants qui minent leur pays. La question demeure : la junte parviendra-t-elle à maintenir son emprise face à des forces internes et externes qui menacent sa stabilité ?