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Mali : La Junte Rebaptise des Rues et Monuments à Bamako

Nouvelle étape dans la décolonisation symbolique au Mali : la junte au pouvoir a rebaptisé des rues et places de Bamako portant des noms en lien avec la France, l'ancienne puissance coloniale. Un geste fort qui suit la tendance dans les régimes militaires sahéliens de tourner le dos à l'Occident, mais qui soulève aussi des questions sur l'avenir du pays...

Au Mali, les symboles de l’époque coloniale française continuent de s’effacer. Selon un décret diffusé mercredi, des rues et places de la capitale Bamako, dont plusieurs portaient des noms en lien avec l’ancienne puissance coloniale et l’organisation régionale ouest-africaine, ont été rebaptisées sur décision du chef de la junte au pouvoir.

Des noms de rues aux fortes connotations remplacés

Parmi les changements les plus notables, l’avenue Cedeao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) est devenue l’avenue de l’AES (Alliance des États du Sahel), en référence à la nouvelle alliance formée par le Mali avec le Burkina Faso et le Niger, trois pays dirigés par des régimes militaires issus de récents coups d’État. L’alliance marque une rupture avec l’organisation régionale.

De même, la place du Sommet Afrique-France, sur la route de l’aéroport, a été rebaptisée place de la confédération des États du Sahel. Quant aux rues Faidherbe, Brière de l’Isle et Archinard, nommées en hommage à des figures de l’administration coloniale française, elles portent désormais respectivement les noms de Mamadou Lamine Dramé, Banzoumana Sissoko et El Hadj Cheick Oumar Tall, des figures de la résistance à la colonisation.

Une tendance qui se répand au Sahel

Ce grand ménage toponymique n’est pas une première dans la région. Le Niger et le Burkina Faso, deux autres pays sahéliens dirigés par des juntes militaires, avaient déjà procédé à des changements similaires ces dernières années, dans une volonté affichée de rompre avec l’héritage colonial et d’affirmer leur souveraineté.

C’est devenu récurrent dans les régimes militaires sahéliens de rebaptiser les rues portant des noms faisant référence à l’histoire coloniale.

Un analyste politique interrogé par l’AFP

Expression d’une volonté de rupture

Au Mali, comme au Burkina Faso et au Niger, les relations avec la France, accusée de maintenir une mainmise néocoloniale sur ses anciennes colonies, se sont fortement dégradées depuis les coups d’État. En parallèle, la coopération avec des puissances comme la Russie s’est intensifiée.

Pour de nombreux observateurs, les changements de noms des rues et places à Bamako reflètent ainsi la volonté de la junte d’afficher une rupture avec la France et l’Occident de manière générale. Une manière aussi de flatter la fibre nationaliste et panafricaine d’une partie de la population.

Un geste avant tout symbolique ?

Toutefois, si le geste est fort sur le plan symbolique, certains s’interrogent sur son impact réel pour le quotidien des Maliens. Dans un pays confronté à la pauvreté, à l’insécurité et à l’instabilité politique depuis des années, la priorité pour beaucoup reste l’amélioration des conditions de vie concrètes.

Renommer les rues, c’est bien. Mais il faudrait surtout s’attaquer aux vrais problèmes des gens : la cherté de la vie, le chômage, l’insécurité…

Témoignage d’un habitant de Bamako recueilli par l’AFP

L’avenir du Mali en question

Plus largement, ce « grand ménage toponymique » s’inscrit dans un contexte de grande incertitude sur l’avenir du Mali. Depuis le coup d’État d’août 2020, le pays est dirigé par une junte militaire qui a rompu les liens avec une grande partie de la communauté internationale et repoussé à plusieurs reprises l’échéance d’un retour des civils au pouvoir.

Une situation qui préoccupe les partenaires du Mali, inquiets d’un possible « dérapage autoritaire » dans un pays considéré il y a encore peu comme un modèle démocratique dans la région. Si la lutte contre le terrorisme reste une priorité, beaucoup appellent à ne pas sacrifier les acquis démocratiques chèrement obtenus.

Quelles perspectives pour une transition réussie ?

Dans ce contexte, la question de la transition politique reste cruciale pour l’avenir du Mali. De nombreux acteurs nationaux et internationaux appellent à un retour rapide à l’ordre constitutionnel, avec la tenue d’élections libres et transparentes.

Mais l’horizon reste incertain. Si la junte s’est engagée à rendre le pouvoir aux civils, le calendrier et les modalités de cette transition restent flous. Et les tensions persistantes avec une partie de la communauté internationale, symbolisées par ces changements de noms de rues, ne facilitent pas les choses.

Pour réussir la transition, il faudra renouer le dialogue avec tous les acteurs nationaux et les partenaires du Mali. Sinon, on risque de s’enliser dans la crise.

Analyse d’un diplomate occidental basé à Bamako

Car au-delà des symboles, c’est bien l’avenir du Mali qui est en jeu. Dans un pays confronté à de multiples défis sécuritaires, politiques et économiques, seule une transition inclusive et apaisée semble à même de ramener la stabilité et de remettre le pays sur les rails. Une gageure pour la junte au pouvoir et l’ensemble des acteurs maliens.

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