Un drame sanglant s’est déroulé lundi matin dans le nord du Mali, jetant une lumière crue sur la situation sécuritaire volatile dans cette région en proie à la violence depuis des années. Selon plusieurs sources locales contactées par l’AFP, une vingtaine de civils auraient été froidement abattus par des mercenaires russes du groupe Wagner accompagnés de militaires maliens, suscitant l’émoi et la colère.
Parmi les victimes figureraient des personnes migrantes qui tentaient de rejoindre clandestinement l’Algérie à bord de deux véhicules de transport. D’après le témoignage glaçant d’un proche du chauffeur d’un des véhicules, qui a requis l’anonymat, les passagers n’avaient aucune chance de s’en sortir face aux assaillants lourdement armés. « Dans la première voiture, tout le monde est mort. Mon cousin aussi », a-t-il confié, la voix brisée par le chagrin et la révolte.
L’armée malienne réfute toute bavure mais les accusations fusent
Face à ces allégations accablantes, l’armée malienne a assuré que des enquêtes étaient en cours mais a balayé toute accusation de bavure. « L’armée n’a tué personne », a affirmé une source militaire à Gao. Sollicitée, la hiérarchie militaire n’avait pas encore réagi officiellement lundi soir.
Ce qui s’est passé est grave. Ce sont des civils qui ont été tués dans les deux véhicules dans la région du Tilemsi.
Un élu local de la région de Gao
Mais sur le terrain, les langues se délient pour pointer du doigt la responsabilité des forces de sécurité maliennes et de leurs alliés russes. Un élu de la région de Gao évoque au moins 20 morts au total dans les deux véhicules ciblés. Et le Front pour la Libération de l’Azawad (FLA), coalition indépendantiste du nord, dénonce carrément un « nettoyage ethnique » mené par « la junte de Bamako » et « les mercenaires russes de Wagner » contre la population de l’Azawad, faisant état d’au moins 24 personnes « froidement exécutées », dont des femmes et des enfants.
De lourdes accusations dans un contexte de rupture avec la France
Ces graves accusations interviennent dans un contexte de rupture entre le Mali et son ancienne puissance coloniale, la France, depuis les coups d’État militaires de 2020 et 2021. La junte au pouvoir à Bamako s’est depuis tournée militairement et politiquement vers la Russie, suscitant de vives inquiétudes quant au respect des droits humains. En décembre dernier, l’ONG Human Rights Watch tirait déjà la sonnette d’alarme sur les « atrocités » commises contre les populations civiles par l’armée malienne et le groupe Wagner.
Un pays en proie à une crise sécuritaire majeure depuis 2012
Depuis 2012, le Mali est déchiré par les agissements de groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda ou à l’État islamique, mais aussi par les violences intercommunautaires et les exactions de groupes armés. Malgré la présence de forces internationales, la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader, particulièrement dans le nord et le centre du pays. Les civils payent un lourd tribut à ce cycle infernal de violences.
Un drame qui soulève de nombreuses questions
Si les circonstances exactes du drame de lundi restent à éclaircir, il soulève de sérieuses interrogations sur les agissements des forces de sécurité maliennes et de leurs alliés russes. Qui a donné l’ordre de tirer sur ces civils sans défense ? Pourquoi les militaires ont-ils ouvert le feu sans chercher à contrôler les identités et les intentions des personnes à bord des véhicules ? Y a-t-il eu des sommations avant les tirs comme l’exigent les règles d’engagement ? Une enquête véritablement indépendante et transparente pourra-t-elle faire toute la lumière sur ce massacre ?
Au-delà, ce terrible événement vient alourdir le bilan déjà effroyable des violences qui frappent les populations civiles au Mali depuis une décennie. Il met en lumière la situation dramatique des personnes migrantes qui tentent de rejoindre le Maghreb au péril de leur vie, livrées à la fois aux trafiquants sans scrupules et aux dangers de contrées instables et militarisées. Il questionne aussi le rôle controversé du groupe Wagner, accusé de multiplier les exactions depuis son arrivée au Mali aux côtés des militaires.
Face à ce nouveau drame, la communauté internationale, et en particulier les partenaires du Mali, ne peuvent rester silencieux. Il est urgent d’exiger des autorités maliennes toute la transparence sur les agissements de leurs forces de sécurité et de leurs alliés russes. Les responsables de ces crimes odieux doivent être identifiés et traduits en justice, quelle que soit leur fonction ou leur nationalité. C’est une question de justice et de dignité pour les victimes et leurs proches, mais aussi un impératif pour restaurer la confiance des populations envers l’État malien et ses représentants en uniforme.
Au-delà, il est plus que jamais nécessaire de s’attaquer aux racines profondes de la crise sécuritaire qui ravage le Mali et la région sahélienne. Cela passe par un engagement renouvelé en faveur du développement, de la bonne gouvernance et du respect de l’état de droit. Car sans perspectives d’avenir et sans confiance dans les institutions, les populations resteront prises en étau entre les groupes armés de toutes obédiences qui prospèrent sur la misère et le chaos.
L’horreur de ce lundi matin dans le Tilemsi ne doit pas rester impunie ni être oubliée dans le tumulte de l’actualité. Elle doit au contraire servir d’électrochoc pour remettre la protection des civils et le respect des droits humains au cœur des priorités au Mali et au Sahel. C’est une question de vie ou de mort pour des millions de personnes prises au piège d’un conflit qui n’en finit pas de s’enliser et de s’internationaliser. Il est plus que temps d’agir avant qu’il ne soit trop tard.