Dans une île de l’océan Indien secouée par des troubles, un vent de changement souffle sur Madagascar. En seulement trois jours, le colonel Michaël Randrianirina, figure militaire de 51 ans, est passé du commandement d’une unité stratégique à la tête de l’État. Ce vendredi, il prête serment en tant que président de la refondation, une ascension fulgurante qui soulève autant d’espoirs que de controverses. Alors que l’ancien président Andry Rajoelina a quitté le pays sous la pression, ce bouleversement politique marque un tournant décisif pour une nation habituée aux soubresauts. Comment en est-on arrivé là, et que signifie cette transition pour l’avenir de Madagascar ?
Un Changement de Pouvoir Controversé
Le 14 octobre 2025, Madagascar a basculé dans une nouvelle ère. Le colonel Randrianirina, à la tête de l’unité militaire Capsat, a annoncé la prise de pouvoir après des semaines de tensions. Cette unité, déjà influente lors d’un précédent coup d’État en 2009, a joué un rôle clé dans ce bouleversement. Mais le colonel rejette catégoriquement l’étiquette de coup d’État. Selon lui, il s’agit d’une transition légale, soutenue par la Haute cour constitutionnelle, qui l’a invité à assumer les fonctions de chef d’État après la destitution d’Andry Rajoelina par l’Assemblée nationale.
Cette destitution, orchestrée dans un climat de chaos, fait suite à des manifestations massives débutées le 25 septembre. Les Malgaches, exaspérés par des coupures récurrentes d’eau et d’électricité, sont descendus dans les rues de la capitale, Antananarivo. Ces protestations, initialement axées sur des revendications pratiques, se sont rapidement transformées en un mouvement contre le pouvoir en place. Le bilan est lourd : selon l’ONU, au moins 22 personnes ont perdu la vie et une centaine ont été blessées lors des premiers jours de contestation.
“Un coup d’État, c’est quand les soldats entrent dans le palais avec des armes, qu’il y a du sang. Ce n’est pas ce qui s’est passé ici.”
Colonel Michaël Randrianirina
Une Transition sous le Signe de la Légalité ?
Pour asseoir sa légitimité, le colonel Randrianirina s’appuie sur une décision rapide de la Haute cour constitutionnelle. En quelques heures seulement, cette institution a validé la destitution de Rajoelina et appelé le militaire à prendre les rênes du pays. La cérémonie d’investiture, prévue dans le palais d’État d’Ambohidahy, un bâtiment emblématique à l’architecture art nouveau, se veut sobre mais symbolique. Ce lieu, surplombant le tunnel d’Ambohidahy où des manifestants ont tenté de s’opposer au pouvoir, incarne les tensions récentes.
Cependant, cette transition soulève des questions. L’ONU a dénoncé un changement inconstitutionnel, tandis que l’Union africaine a suspendu Madagascar de ses instances. Malgré ces critiques, le colonel insiste sur le respect de la loi. “On revient dans la loi, on respecte la loi”, a-t-il déclaré, tout en exprimant des doutes sur la possibilité d’organiser des élections dans les 60 jours requis par la Haute cour. Il évoque plutôt un délai de 18 à 24 mois, arguant que la commission électorale et les listes actuelles ne font pas l’unanimité.
Madagascar, un pays marqué par une histoire de crises politiques, voit dans cette transition une nouvelle tentative de stabilisation. Mais la route vers la démocratie reste semée d’embûches.
Qui est le Colonel Michaël Randrianirina ?
À 51 ans, Michaël Randrianirina est une figure qui intrigue. Ancien gouverneur du district d’Androy, dans le sud de Madagascar, il a gravi les échelons militaires jusqu’à diriger l’unité Capsat, connue pour son rôle dans les bouleversements politiques. Son parcours est marqué par une ironie : il y a deux ans, il était arrêté pour suspicion de tentative de coup d’État. Aujourd’hui, il se retrouve à la tête du pays, sans passer par les urnes.
Surnommé “le colonel Michaël” par les habitants, il bénéficie d’une popularité dans les rues, où son image de leader décidé contraste avec celle d’un pouvoir déchu perçu comme déconnecté. En ralliant les manifestants le 11 octobre, ses hommes ont marqué un tournant décisif, accompagnant la foule vers le centre-ville et précipitant la chute de Rajoelina.
Les Défis d’une Nation en Crise
Madagascar, avec ses 32 millions d’habitants, reste l’un des pays les plus pauvres du monde. Selon la Banque mondiale, 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec moins de 2,80 euros par jour. Les coupures d’eau et d’électricité, qui ont déclenché les récentes manifestations, ne sont que le symptôme d’une crise plus profonde : une économie fragile, des infrastructures défaillantes et une instabilité politique chronique.
La transition actuelle s’inscrit dans une longue histoire de soulèvements populaires arbitrés par l’armée. Depuis l’indépendance en 1960, Madagascar a connu plusieurs crises majeures, dont le coup d’État de 2009 qui avait porté Rajoelina au pouvoir pour la première fois. Ce passé tumultueux rend la tâche du colonel Randrianirina d’autant plus complexe.
Année | Événement |
---|---|
2009 | Coup d’État : Andry Rajoelina accède au pouvoir avec le soutien du Capsat. |
2023 | Arrestation de Randrianirina pour suspicion de coup d’État. |
2025 | Randrianirina prend le pouvoir après la destitution de Rajoelina. |
Une Transition sous Pression Internationale
La communauté internationale observe ce changement avec prudence. Le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, a appelé à une transition inclusive, impliquant pleinement les civils, avec pour objectif un retour rapide à la légalité constitutionnelle. Cependant, l’ONU et l’Union africaine ont exprimé leurs réserves, dénonçant un processus non conforme aux normes démocratiques.
Dans ce contexte, la fuite de Rajoelina, exfiltré par un avion militaire français entre le 11 et le 12 octobre, ajoute une dimension internationale à la crise. L’ancien président, confronté à des menaces graves contre sa vie, a quitté le pays, laissant un vide politique que Randrianirina cherche à combler.
Vers un Avenir Incertain
Le colonel Randrianirina a annoncé un processus de consultation pour nommer un Premier ministre et poser les bases d’une gouvernance stable. Mais les défis sont immenses. La commission électorale, critiquée pour son manque de transparence, et les listes électorales, contestées, rendent l’organisation d’un scrutin rapide improbable. Le militaire évoque un délai de 18 à 24 mois pour préparer des élections crédibles, un calendrier qui pourrait susciter des tensions.
Pour l’heure, Madagascar reste à la croisée des chemins. La population, épuisée par la pauvreté et les crises à répétition, place ses espoirs dans cette nouvelle direction tout en restant méfiante. Le colonel Randrianirina, avec son discours de légalité et de refondation, devra prouver qu’il peut transformer une transition controversée en une véritable opportunité pour le pays.
Entre instabilité chronique et aspiration à un avenir meilleur, Madagascar attend des réponses concrètes. La transition actuelle pourrait redéfinir le destin de l’île, mais à quel prix ?
En conclusion, cette transition à Madagascar illustre les défis d’un pays confronté à une histoire politique tourmentée. Le colonel Randrianirina, propulsé au pouvoir dans un contexte de crise, doit naviguer entre légitimité contestée et attentes populaires. Alors que l’île aspire à la stabilité, le monde observe, attendant de voir si cette refondation annoncée tiendra ses promesses.