Dans les rues d’Antananarivo, la capitale de Madagascar, l’air est lourd de tension. Depuis treize jours, des manifestations secouent cette île de l’océan Indien, marquée par une pauvreté endémique et une longue histoire de gouvernements militaires. La récente nomination d’un général comme Premier ministre, décidée par le président Andry Rajoelina, a jeté de l’huile sur le feu. Cette décision, perçue comme une tentative de consolider un pouvoir autoritaire, suscite une profonde méfiance parmi la population et les manifestants, notamment le mouvement Gen Z. Une rencontre cruciale, prévue mercredi au palais présidentiel, pourrait-elle apaiser les tensions ou, au contraire, précipiter l’île dans une nouvelle vague d’instabilité ?
Une Nomination Controversée au Cœur de la Crise
Le président Andry Rajoelina a nommé Ruphin Fortunat Dimbisoa Zafisambo, général de l’armée de terre, au poste de Premier ministre. Cette décision, annoncée récemment, a été immédiatement qualifiée de « diversion » par le collectif Gen Z, fer de lance des manifestations. Pour beaucoup, elle symbolise une volonté de renforcer l’emprise militaire sur le pouvoir, dans un pays où l’histoire des coups d’État et des transitions militaires est encore fraîche dans les mémoires.
Dans les rues de la capitale, l’annonce n’a pas suscité l’enthousiasme escompté. La plupart des habitants, interrogés mardi, semblaient même ignorer la nouvelle. Quant aux manifestants rassemblés autour du lac d’Anosy, malgré une trêve dans les appels à manifester, ils ne voient pas dans ce choix un signe d’apaisement. « C’est une façon de nous dire que les civils doivent se taire », déplore un jeune interne en médecine, Princia Rakotontraibe, dénonçant l’usage de gaz lacrymogènes près d’une maternité lors des récentes manifestations.
« Le président veut faire passer le message que c’est un pouvoir militaire et que les civils n’ont qu’à se tenir à carreau. »
Princia Rakotontraibe, interne en médecine
Un Contexte de Méfiance Enracinée
Madagascar n’en est pas à sa première crise politique. L’île a connu des bouleversements majeurs en 1972, 2002 et 2009, cette dernière période ayant vu Andry Rajoelina lui-même accéder au pouvoir à la suite d’un soulèvement populaire soutenu par les militaires. Cette histoire tumultueuse alimente aujourd’hui la défiance envers les institutions, en particulier lorsque celles-ci s’appuient sur des figures militaires.
La nomination du général Zafisambo, ancien directeur de cabinet du précédent Premier ministre, n’a rien fait pour rassurer. « Je suis déçu par ce choix, c’est comme d’habitude », confie Daudet Santatriniaina, un manifestant de 41 ans arborant un chapeau aux couleurs du mouvement Gen Z. Pour lui, comme pour beaucoup, la présence militaire au sommet de l’État évoque un retour en arrière, loin des aspirations démocratiques portées par les jeunes générations.
Les Revendications du Mouvement Gen Z
Le mouvement Gen Z, à l’origine des manifestations, a su fédérer une colère populaire qui dépasse la simple opposition au pouvoir en place. Accompagné d’une vingtaine d’organisations, le collectif a formulé des revendications claires, bien qu’éloignées de la demande initiale de démission du président Rajoelina. Parmi celles-ci :
- Excuses publiques du président pour les violences subies par les manifestants.
- Refondation de la Haute cour constitutionnelle pour garantir une justice indépendante.
- Dissolution du Sénat, ou du moins le départ de son président, Richard Ravalomanana, surnommé « Général Bômba » pour son usage intensif de gaz lacrymogènes en 2009.
- Respect des libertés fondamentales, notamment la liberté de manifester sans répression.
Ces demandes traduisent un désir de réforme profonde, loin des changements cosmétiques. Comme l’explique Ketakandriana Rafitoson, docteure en sciences politiques, « les revendications ne se limitent plus à la contestation de l’ordre établi, elles donnent une orientation claire pour une gouvernance plus équitable ».
Une Rencontre Décisive Mercredi
Le président Rajoelina a convié les « forces vives de la Nation » à une rencontre au palais présidentiel mercredi soir, une initiative présentée comme une opportunité de dialogue. Mais pour le mouvement Gen Z, il s’agit d’un ultimatum. Si aucune mesure concrète n’est prise à l’issue de cette réunion, le collectif a menacé de « prendre toutes les décisions nécessaires ».
Ce rendez-vous pourrait être un tournant. Les manifestants, bien que moins nombreux mardi en raison de la trêve, restent déterminés. La présence massive des forces de sécurité dans la capitale, avec un quadrillage renforcé, montre que le gouvernement prend la menace au sérieux. Mais la question demeure : le président est-il prêt à faire des concessions, ou cette rencontre n’est-elle qu’une nouvelle tentative de gagner du temps ?
Le Poids des Forces de l’Ordre
La nomination d’un militaire au poste de Premier ministre s’accompagne d’un renforcement des portefeuilles liés à la sécurité. Les trois premiers ministres annoncés dans le nouveau gouvernement occupent les postes des Armées, de la Sécurité publique et de la Gendarmerie. Pour le président, ces choix visent à restaurer la « paix » dans un pays qu’il juge perturbé. Mais pour les observateurs, ils trahissent une volonté de contrôler les manifestations par la force.
Adrien Ratsimbaharison, auteur d’un ouvrage sur la crise de 2009, souligne un point crucial : « Si le nouveau Premier ministre parvient à maintenir l’unité des forces armées, les manifestants peuvent s’épuiser dans les rues pendant plusieurs mois. » La gendarmerie, mieux rémunérée que la police et l’armée, dispose d’unités anti-émeute bien entraînées, ce qui renforce sa capacité à réprimer les mouvements de contestation.
« Vous ne parviendrez jamais à affronter les forces de l’ordre. »
Richard Ravalomanana, président du Sénat
Un Passé qui Pèse sur l’Avenir
L’histoire politique de Madagascar est jalonnée de crises où l’armée a joué un rôle central. En 2009, par exemple, Andry Rajoelina avait été porté au pouvoir par un soulèvement soutenu par les militaires. Cette mémoire collective alimente aujourd’hui la méfiance envers toute tentative de militarisation du pouvoir. Comme le souligne un jeune manifestant, « changer de président en cours de route ne changera pas les choses ».
Pourtant, l’instabilité reste une menace bien réelle. Selon Ketakandriana Rafitoson, une démission forcée ou un coup d’État pourrait plonger l’île dans le chaos. « L’instabilité et le désordre sont les issues les plus probables dans un tel scénario », prévient-elle. Les manifestants, conscients de ces risques, semblent avoir recentré leurs revendications sur des réformes institutionnelles plutôt que sur un changement radical de régime.
Le Rôle de Richard Ravalomanana, le « Général Bômba »
Une figure cristallise particulièrement la colère des manifestants : Richard Ravalomanana, président du Sénat et ancien général de gendarmerie. Surnommé « Général Bômba » pour son recours massif aux gaz lacrymogènes lors de la crise de 2009, il reste une personnalité influente, notamment au sein de la gendarmerie. « Il continue à gérer la gendarmerie, même à la retraite », explique un chercheur en sciences politiques sous couvert d’anonymat.
La demande de dissolution du Sénat, ou du moins le départ de Ravalomanana, figure en tête des revendications du mouvement Gen Z. Pour les manifestants, il incarne un système répressif et corrompu, incapable de répondre aux aspirations d’une population jeune et en quête de changement.
Les Défis d’une Île en Crise
Madagascar, l’une des nations les plus pauvres au monde, fait face à des défis structurels qui amplifient la crise politique. La pauvreté touche une large majorité de la population, et les inégalités sociales alimentent le mécontentement. Les manifestations, bien que portées par une jeunesse dynamique, doivent composer avec un appareil sécuritaire puissant et une histoire politique marquée par l’instabilité.
Année | Événement |
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1972 | Crise politique et soulèvement populaire |
2002 | Contestation électorale et changement de pouvoir |
2009 | Transition militaire et arrivée d’Andry Rajoelina |
Ce tableau illustre la récurrence des crises à Madagascar, un cycle que beaucoup souhaitent briser. Pourtant, la nomination d’un militaire comme Premier ministre semble aller à l’encontre de cet espoir, renforçant l’idée d’un pouvoir qui s’appuie sur la force plutôt que sur le dialogue.
Vers une Issue Incertaine
À l’approche de la rencontre de mercredi, tous les regards sont tournés vers le palais présidentiel. Les manifestants, bien que fatigués par treize jours de mobilisation, restent déterminés. Le mouvement Gen Z, avec son énergie et ses revendications claires, a réussi à fédérer une partie de la population, mais il se heurte à un appareil d’État solidement ancré.
Le choix d’un Premier ministre militaire, loin d’apaiser les tensions, a ravivé les craintes d’une dérive autoritaire. Comme le résume Daudet Santatriniaina, « je n’ai pas confiance dans les militaires ». Cette méfiance, profondément enracinée, pourrait déterminer l’avenir de Madagascar. La rencontre de mercredi sera-t-elle le début d’un dialogue constructif, ou marquera-t-elle un point de non-retour ? L’île retient son souffle.