Dans les rues animées d’Antananarivo, un cri de colère résonne. Depuis plusieurs jours, des milliers de jeunes, galvanisés par les réseaux sociaux, défilent pour exprimer leur ras-le-bol face à une situation qui les étouffe : des coupures d’eau et d’électricité incessantes, une pauvreté endémique et un pouvoir jugé déconnecté. Ce mouvement, porté par la Gen Z, dépasse désormais les simples revendications matérielles pour exiger un changement radical, jusqu’à la démission du président en place. Mais que se passe-t-il vraiment à Madagascar, ce pays insulaire riche en ressources naturelles, pourtant parmi les plus pauvres du monde ?
Une révolte portée par la jeunesse
À Madagascar, les manifestations qui secouent le pays depuis le mois de septembre 2025 ne sont pas un phénomène isolé. Depuis l’indépendance en 1960, l’île a été le théâtre de multiples soulèvements populaires, souvent déclenchés par des crises économiques ou des contestations politiques. Cette fois, c’est la génération née entre la fin des années 1990 et le début des années 2010, surnommée Gen Z, qui mène la charge. Mobilisés via les réseaux sociaux, ces jeunes ont transformé leur frustration en action collective, prenant d’assaut les rues de la capitale et d’autres villes comme Antsiranana, Fianarantsoa, Toliara et Toamasina.
Leur symbole ? Un drapeau pirate, inspiré du manga japonais One Piece, devenu un étendard de contestation mondiale, déjà vu en Indonésie ou au Népal. Ce choix n’est pas anodin : il incarne un esprit de rébellion et une volonté de défier l’ordre établi. Dans les cortèges, les pancartes brandissent des messages percutants, comme “On veut vivre, pas survivre”, résumant l’exaspération d’une jeunesse qui se sent oubliée.
Les racines d’une colère profonde
À l’origine de cette mobilisation, les coupures d’eau et d’électricité, devenues insupportables pour la population, ont servi de catalyseur. Mais les revendications vont bien au-delà. Madagascar, malgré ses richesses naturelles exceptionnelles, reste englué dans une pauvreté extrême. Selon la Banque mondiale, près de 75 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2022. À cela s’ajoute un sentiment d’injustice face à la corruption, avec un classement peu flatteur de 140e sur 180 dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International.
“On veut vivre, pas survivre.”
Pancarte brandie par un manifestant à Antananarivo
Les jeunes dénoncent un système où les élites prospèrent tandis que la majorité lutte pour accéder aux besoins de base. Le président Andry Rajoelina, au pouvoir de 2009 à 2014 après un coup d’État, puis réélu en 2018 et 2023 dans des scrutins controversés, cristallise cette colère. Les slogans comme “Rajoelina, dégage” ou les appels à écarter ses proches, tels que l’homme d’affaires influent ou le Premier ministre en poste depuis 2018, traduisent un rejet global du régime.
Un pouvoir sous pression
Face à l’ampleur des manifestations, le président a tenté de désamorcer la crise. Dès son retour de New York, où il assistait à l’assemblée générale des Nations unies, il s’est rendu dans un quartier populaire d’Antananarivo pour promettre des réformes et une meilleure écoute des préoccupations des citoyens. Par ailleurs, le limogeage du ministre de l’Énergie, annoncé en fin de semaine dernière, vise à apaiser les tensions. Mais pour beaucoup, ces gestes sont perçus comme insuffisants, voire opportunistes.
Les forces de l’ordre, déployées en nombre, ont recours à des moyens musclés pour contenir les protestataires. À Antananarivo, des grenades lacrymogènes ont été utilisées pour disperser la foule, et au moins un manifestant a été arrêté près de l’université. Un député d’un petit parti d’opposition a également été interpellé lors d’un rassemblement, provoquant l’indignation de plusieurs élus qui exigent sa libération.
Les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre se sont intensifiés près de l’université d’Antananarivo, où les jeunes ont tenté d’avancer vers le centre-ville.
Une mobilisation qui s’étend
Si la capitale reste l’épicentre de la contestation, le mouvement gagne du terrain à travers le pays. Dans le nord, à Antsiranana, les manifestations sont particulièrement suivies. Des rassemblements ont également été signalés à Fianarantsoa, Toliara et Toamasina. Cette mobilisation nationale, la plus importante depuis la période précédant l’élection de 2023, traduit un mécontentement généralisé. Lors de ce scrutin, boycotté par l’opposition, moins de la moitié des électeurs inscrits s’étaient déplacés, signe d’une défiance envers le système politique.
Le mouvement Gen Z, bien organisé, utilise les réseaux sociaux pour coordonner ses actions et diffuser ses messages. Les vidéos circulant en ligne montrent l’ampleur des rassemblements, mais aussi des actes de répression, comme l’arrestation du député mentionné plus tôt. Ces images alimentent la détermination des manifestants, qui refusent de se taire face à ce qu’ils perçoivent comme une tentative d’intimidation.
Des accusations de manipulation
La situation a pris une tournure chaotique après la première manifestation, marquée par des pillages à Antananarivo. Selon le mouvement Gen Z, ces actes auraient été orchestrés par des “groupes anonymes” payés pour discréditer la mobilisation. Cette accusation, bien que difficile à vérifier, reflète la méfiance croissante envers les autorités. Les incendies de domiciles de trois parlementaires proches du pouvoir ont également attisé les tensions, renforçant le climat d’instabilité.
“Des groupes d’individus anonymes ont été rémunérés pour piller de nombreux établissements afin d’entacher le mouvement.”
Communiqué de la Gen Z
Ce type de violence, loin d’affaiblir le mouvement, semble au contraire galvaniser les protestataires. Ils accusent le pouvoir de chercher à détourner l’attention des véritables enjeux : la lutte contre la corruption, l’amélioration des conditions de vie et la fin d’un système politique perçu comme oppressif.
Un pays riche, mais à l’agonie
Madagascar est un paradoxe. Doté de ressources naturelles exceptionnelles, comme des minerais rares, des pierres précieuses et une biodiversité unique, le pays peine à convertir ces atouts en prospérité pour sa population. La pauvreté chronique touche la majorité des Malgaches, tandis que les inégalités sociales s’accentuent. Les infrastructures, notamment pour l’accès à l’eau et à l’électricité, restent défaillantes, exacerbant le sentiment d’abandon.
Indicateur | Chiffre clé |
---|---|
Taux de pauvreté (2022) | 75 % |
Classement corruption (Transparency International) | 140e/180 |
Participation électorale (2023) | Moins de 50 % |
Ce tableau illustre l’ampleur des défis auxquels Madagascar est confronté. Malgré des promesses répétées de développement, les progrès restent limités, et la jeunesse, en particulier, se sent trahie par un système qui ne répond pas à ses aspirations.
Vers une crise politique majeure ?
Les manifestations actuelles rappellent celles de 2009, qui avaient conduit au renversement de l’ancien président Marc Ravalomanana. Si l’histoire ne se répète pas nécessairement, les similitudes sont frappantes : une jeunesse mobilisée, des revendications sociales et politiques entremêlées, et un pouvoir fragilisé par des accusations de corruption et d’inefficacité. La question est désormais de savoir si le mouvement Gen Z parviendra à maintenir sa dynamique ou si le pouvoir réussira à reprendre la main.
Pour l’instant, les protestataires restent déterminés. Leur usage des réseaux sociaux, leur organisation décentralisée et leur adoption de symboles forts, comme le drapeau pirate, leur confèrent une visibilité et une résilience inédites. Mais face à un pouvoir qui n’hésite pas à employer la force, l’issue reste incertaine.
Que retenir de cette mobilisation ?
Pour mieux comprendre l’ampleur de ce mouvement, voici les points clés à retenir :
- Une mobilisation portée par la Gen Z, galvanisée par les réseaux sociaux.
- Des revendications initialement centrées sur les coupures d’eau et d’électricité, mais qui englobent désormais un rejet du pouvoir en place.
- Un symbole fort : le drapeau pirate de One Piece, signe de rébellion.
- Des tensions croissantes avec les forces de l’ordre, marquées par des arrestations et l’usage de gaz lacrymogène.
- Une crise qui s’étend au-delà de la capitale, touchant plusieurs villes du pays.
Cette révolte, bien plus qu’un simple sursaut de colère, pose des questions fondamentales sur l’avenir de Madagascar. La jeunesse, en première ligne, incarne un espoir de changement, mais aussi un défi pour un pouvoir confronté à une contestation sans précédent. Alors que les manifestations se poursuivent, le monde observe : jusqu’où ira cette vague de contestation ?
Madagascar retient son souffle. La Gen Z, elle, ne baisse pas les bras.