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Macron Veut Contrôler les Réseaux Sociaux : Liberté en Danger ?

Emmanuel Macron veut interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans, fermer les faux comptes et retirer automatiquement les « messages haineux ». Derrière les bonnes intentions, une question brûlante : qui décidera demain de ce qui est « haineux » ? Jusqu’où ira le contrôle ? Décryptage complet.

Imaginez un monde où votre adolescent de 14 ans ne peut plus ouvrir TikTok ou Instagram sans carte d’identité numérique. Un monde où un algorithme décide en quelques millisecondes si votre tweet du matin est « haineux » et le supprime avant même que vos abonnés ne le voient. Un monde où l’anonymat, cet ultime rempart pour certains lanceurs d’alerte, devient un délit. Ce n’est pas de la science-fiction. C’est le projet que le président de la République a défendu ce 10 décembre 2025 à Saint-Malo.

Un constat partagé… mais une solution qui fait frémir

Personne ne nie les dérives. Harcèlement scolaire qui pousse des collégiens au suicide, désinformation massive pendant les crises sanitaires, ingérences étrangères qui manipulent l’opinion, violences verbales décomplexées sous couvert d’anonymat… Les réseaux sociaux, ces outils extraordinaires nés il y a quinze ans, se sont transformés pour beaucoup en jungle incontrôlable.

Le chef de l’État l’a répété : « Ils nous apportent énormément au quotidien mais ils nous échappent depuis une dizaine d’années. » Phrase clé. Car derrière l’apparente évidence se cache une ambition colossale : reprendre le contrôle. Et le moyen proposé n’est pas seulement technique. Il est profondément politique.

Trois mesures phares qui changent tout

Durant son étape malouine, le président a détaillé trois axes majeurs :

  • Interdiction pure et simple des réseaux sociaux pour les moins de 15 ans
  • Fermeture systématique des « faux comptes »
  • Retrait quasi instantané des « messages haineux »

À première vue, ces propositions peuvent sembler frappées au coin du bon sens. Qui voudrait laisser un enfant de 12 ans livré aux prédateurs et aux influenceurs toxiques ? Qui défendrait les trolls rémunérés par des puissances étrangères ? Qui protégerait les injures racistes ou les appels au meurtre ?

Mais le diable, comme toujours, se cache dans les détails d’application.

L’interdiction aux moins de 15 ans : protection ou exclusion numérique ?

Commençons par les adolescents. L’idée d’un âge minimum renforcé (13 ans existe déjà théoriquement) séduit beaucoup de parents épuisés par les disputes du soir sur l’heure du coucher et les écrans. Des pays comme l’Australie viennent d’ailleurs de voter une loi similaire.

Mais en France, comment vérifier l’âge de millions d’utilisateurs ? Par pièce d’identité ? Par reconnaissance faciale ? Par un système d’État à la chinoise ? Et que devient l’adolescent de 14 ans et demi qui anime une page d’information sur le climat ou sur les droits des femmes ? Va-t-il être purement et simplement rayé de la carte numérique sous prétexte qu’il n’a pas encore ses 15 printemps ?

L’éducation numérique, oui. Le contrôle parental renforcé, évidemment. Mais une interdiction brutale risque surtout de créer une fracture générationnelle supplémentaire : ceux qui contourneront la loi avec des VPN et ceux, souvent les plus fragiles, qui se retrouveront exclus d’un espace devenu central pour la socialisation moderne.

Les « faux comptes » : comment définir la vérité d’un profil ?

Deuxième cible : les comptes anonymes ou pseudonymes. Le président veut les « fermer ». Point final.

Problème : où trace-t-on la ligne ? Un compte qui utilise un pseudo drôle est-il « faux » ? Une femme qui se cache derrière un pseudonyme pour échapper à son ex-mari violent doit-elle révéler son identité réelle ? Un salarié qui dénonce les pratiques de son entreprise sans risquer le licenciement immédiat est-il un « faux compte » à supprimer ?

« L’anonymat, c’est ce qui a permis aussi à des gens d’être lanceurs d’alerte (…) À côté de ça, force est de constater que l’anonymat a désinhibé les choses »

Emmanuel Macron lui-même, le 10 décembre 2025

Le président reconnaît la complexité. Mais dans le même souffle, il propose de trancher dans le vif. Or l’histoire montre que les régimes autoritaires commencent toujours par « juste » vouloir fermer les faux comptes… avant de définir eux-mêmes ce qui est vrai ou faux.

Les « messages haineux » : qui décide, et selon quels critères ?

Voici peut-être le point le plus explosif. Exiger le « retrait des messages haineux » semble une évidence morale. Personne ne veut lire des insultes racistes ou des menaces de mort.

Mais en pratique, les plateformes retirent déjà des millions de contenus chaque année. Et les erreurs sont légion. Des citations de Voltaire ont été censurées parce qu’un algorithme y a vu de l’« incitation à la haine ». Des caricatures ont disparu. Des comptes de médecins critiquant certaines politiques sanitaires ont été suspendus des mois durant.

Confier à des GAFAM américains ou à un futur super-régulateur français le pouvoir de décider en temps réel ce qui est haineux, c’est remettre la liberté d’expression entre les mains d’entités privées ou bureaucratiques. Avec tous les risques de dérives idéologiques que cela comporte.

Derrière les bonnes intentions, une vision très étatiste du numérique

Ce qui frappe dans le discours présidentiel, c’est la philosophie sous-jacente : les réseaux sociaux sont un danger qu’il faut domestiquer par la loi, la contrainte, l’interdiction. L’éducation, l’accompagnement, la responsabilité individuelle passent au second plan.

Or les mêmes qui dénoncent la « fracturation de la société » proposent des mesures qui risquent d’accentuer les clivages : entre ceux qui accepteront le contrôle et ceux qui le refuseront, entre les générations, entre les classes sociales (car contourner une interdiction demande des compétences techniques et financières).

Et surtout, entre ceux qui feront confiance à l’État pour définir la vérité… et ceux qui y verront une menace existentielle pour la liberté.

Et l’Europe dans tout ça ?

Le président l’a rappelé : il veut « durcir le droit européen ». Le Digital Services Act existe déjà. Mais Paris pousse pour aller plus loin, notamment sur la vérification d’identité et les délais de retrait de contenus.

D’autres pays résistent. Les Pays-Bas, l’Estonie ou la Pologne (pour des raisons parfois opposées) freinent des quatre fers face à ce qui ressemble à une dérive autoritaire. L’Allemagne, traumatisée par son passé, reste très prudente sur toute mesure touchant à l’anonymat.

Le risque ? Que la France devienne le cheval de Troie d’une censure à l’européenne, sous couvert de protection des mineurs et de lutte contre la haine.

Une autre voie est-elle possible ?

Oui. Des pays comme la Suisse ou le Canada misent davantage sur l’éducation aux médias dès l’école primaire, sur des outils de contrôle parental performants, sur la transparence des algorithmes sans pour autant imposer une identité réelle obligatoire.

Des associations proposent des chartes de bonne conduite co-construites avec les plateformes. Des chercheurs travaillent sur des intelligences artificielles capables de détecter le harcèlement sans toucher à la liberté d’expression politique.

Rien n’est simple. Mais tout n’est pas non plus binaire entre laissez-faire total et contrôle d’État massif.

Le débat est lancé. Et il est crucial. Car ce qui se joue aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’avenir de TikTok ou de X. C’est la nature même de l’espace public au XXIe siècle. Un espace où la liberté doit rester la règle… et la censure, même bien intentionnée, l’exception.

À nous de ne pas laisser filer cette liberté sous prétexte de la protéger.

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